Les épreuves laissent des marques profondes, telles des cicatrices, même si elles restent invisibles pour qui ne les a pas vécues.
- Oh, cela suffit, finissait toujours par dire Patience, je commence à avoir mal à la tête. Persé, ta sœur a raison. Cesse de te donner des airs importants parce que tu prétends faire beaucoup de choses à la maison. Tu n’es pas en compétition avec Sassi. N’oublie pas que, dans la vie, nous sommes des alliées et chacune effectue la tâche pour laquelle elle est née.
- Alors, vous, Mère, que faites-vous exactement ? demanda narquoisement Persévérance.
- Ah, moi, je ne travaille plus. Je n’ai pas votre âge et, après tout, je vous ai déjà élevées.
Ah, le devoir ! Voilà bien un mot magique qui permet au parent abusif d’exiger tout et n’importe quoi de son enfant pour l’indemniser de la corvée de l’avoir mis au monde. Et puis, elle travaillait tellement qu’elle ne prenait pas le temps de penser. Malgré elle, elle laissait donc à sa famille le soin de lui former ses opinions.
- Quand même, Mère, j’ai vingt ans, il me faudra bien un jour quitter la maison, répétait Persévérance avec lassitude.
- Oui, bien sûr, ma chérie, quand tu seras aussi accomplie que ta sœur. As-tu vu le délicieux col en dentelle qu’elle a réalisé pour madame Gentille des Prés ?
- Mais je travaille plus qu’elle et je vends plus de paniers qu’elle ne vend de dentelle.
- Certes, certes, mais la dentelle de ta sœur nous amène du beau monde à la maison. Tu pourras te vanter que tu connais la comtesse des Prés.
Elles avaient un autre point commun en cela que la vie ne leur apportait aucune satisfaction. Insatiable s’ennuyait constamment. Elle obtenait, certes, toujours volontiers ce qu’elle voulait, mais une fois la chose acquise, celle-ci perdait immédiatement de son attrait. Quant à Persévérance, elle se résignait, non sans amertume, à ne jamais pouvoir se procurer ce que sa sœur se voyait offrir si facilement.
Déjà lorsque Insatiable était plus jeune, elle sollicitait les faveurs des marchands grâce à ses sourires. "Oh, quelle jolie poupée ! " disait-on d'elle. "Elle mériterait que je lui donne cette belle capeline rose pour réhausser la couleur de son teint ", avait dit un jour la modiste du bourg voisin, tout attendrie. Persévérance en aurait pleuré. Elle aussi avait remarqué la même capeline. Mais la modiste, qui ne l'avait pas oubliée, avait jugé qu'une coiffe d'un vert foncé lui était plus seyante. Et ce fut avec une jovialité affectée, bien sûr, qu'elle lui avait dit que le vert lui allait à ravir et qu'elle était très jolie. Jolie, elle ? De qui se moquait-on ?