Citations sur Rosa dolorosa (22)
Et tout ce que pouvait faire cette mère, désormais, c'était de se rallonger près de lui et attendre. Attendre blottie contre lui, bras autour de lui, lèvres posées sur lui. Attendre, attendre longtemps, sans plus jamais le laisser seul. Même si cela devait durer des jours entiers à ne pas boire ni manger. Des jours entiers à laisser ses jambes se fissurer. Se fossiliser. Attendre, attendre longtemps. Des mois entiers, s'il le fallait, des années, à demeurer ainsi. Ensemble.
Quand Rosa vint s'asseoir face à lui, il baissa le menton et les yeux, elle eut l'impression qu'il avait déjà quitté la salle, déjà menotté, déjà interrogé, déjà condamné, déjà enfermé, que tout avait eu lieu déjà, que son fils était parti, que son fils l'avait quitté.
Aux fenêtres, les linges pendus paraissaient en lambeaux. Et, à cette heure-ci, il n'y avait personne. Seuls les Messina passaient sous les fils électriques fragiles et noirs qui couraient d'une façade d'immeuble à l'autre, composant une toile d’araignée funèbre au-dessus d'eux.
Mais dans les escaliers qui menaient à son appartement, seule, embrumée par le joint d'Hassan fumé trop vite, au bord du vertige, les souvenirs de ce qui s'était passé vers midi, sur ces marches, se mirent à l’envahir. L'enlèvement de son fils. Les cris lancés. Les corps empoignés. Tout semblait avoir eu lieu à une époque déjà lointaine. Les portes des voisins étaient toujours closes, elle les dépassa en accélérant. Elle ouvrit son appartement et alluma la lumière du salon. Il était sans dessus dessous. Elle préféra éteindre. Rester un instant là dans la pénombre, immobile.
Rosa le dévisagea encore. Cette sensation, joie du retour de son fils, joie sanguine, joie utérine, elle aurait voulu, pour toujours, pouvoir la posséder.
D’apparence sereine, elle invitait le financier à se figurer ce que cela faisait de se laisser hypnotiser par une douzaine de méduses encloses dans un aquarium, dans le hall d’un hôtel, de cet hôtel, là. La ronde des méduses derrière le verre, dans l’eau, parmi bulles et courants. Leurs tentacules flottant comme des fourreaux de fantômes.
La nuit, surgis des souterrains, d'étranges oiseaux avaient dépecé les nuages. Et l'orage dévoré, à l'aube, avait déporté ses murmures.
Devant elle, Lino paraissait avoir décidé de se laisser mourir, et elle dut rassembler ce qu’il lui restait de force pour lui parler sans faiblir. Puisque, à voir la désolation de ses yeux, de ses mains, elle n’avait soudain plus aucun doute. Elle savait. Et c’était comme si ses entrailles l’avaient toujours su.
Sous le choc, Rosa n’arrivait plus à parler. Sa gorge se mit à s’enflammer comme si, les méduses, elle les avait elle-même mastiquées.
– Je t’ai dit que ma mère s’en va demain ?
– Déjà ?
– Je l’ai menacée de la foutre à l’hospice si elle continuait à se plaindre.
– Tu l’as menacée ?
– Elle méritait la fessée, crois-moi.
– …
– Quoi, je te choque, Rosa ? Quand elle fait chier, ça sort tout seul.
– Je n’aimerais pas que mon fils parle de moi comme ça.
– Ça ne risque pas.
– Pourquoi tu dis ça ?
– Tu fais tout pour que Lino t’adore, non ?
– Ça te gêne que je m’occupe de mon fils ?
– Non… Ce serait bien que tu l’oublies des fois.