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Critique de Lamifranz


Lire Dostoievski n'est jamais facile, mais lire Dostoievski est toujours un plaisir. Ce paradoxe, assez courant chez les Russes, sera partagé par tous les lecteurs de ce génie de la littérature : la narration est souvent compliquée, les personnages, nombreux ont des noms à rallonge qui se ressemblent tous, les thèmes évoqués, tout aussi nombreux, se télescopent et parfois s'opposent, mais l'auteur fait passer dans son roman un tel courant d'humanité qu'on ne peut que se laisser dériver sur ce fleuve lent, parfois accéléré en de rapides tensions, où les protagonistes sont de chair et de sang, où leurs interrogations (celles de l'auteur) rejoignent les nôtres, parce qu'elles sont de tous les temps.
« Les Possédés » (1871) est connu aussi chez nous sous le titre de « Les Démons ». Il semblerait que « Les Démons » soit la traduction du titre original. Mais le premier traducteur français (Victor Derely – 1886) utilisa le terme « Les Possédés », que reprit Albert Camus lors de sa remarquable adaptation pour le théâtre en 1959. Finalement les deux termes conviennent également aux personnages de ce roman qui sont à la fois victimes et bourreaux, tourmenteurs et tourmentés, possédés par le démon, et démons possédant les âmes et les corps. La question est : Qui possède qui ?
Pas facile de définir une intrigue aussi complexe en quelques lignes : le titre semble nous suggérer que le thème principal du roman est l'influence de certains personnages sur les autres, pour des raisons politiques, religieuses, ou simplement sentimentales. le thème politique paraît le plus évident : un groupe de jeunes révolutionnaires souhaite renverser le régime. Nihilistes, socialistes, anarchistes, on ne sait pas trop (ce que l'on sait, par contre, c'est que Dostoievski, dans sa jeunesse a adhéré à ces idées et qu'à présent il s'y oppose). Les deux personnages principaux sont deux sortes de possédés-démons : Piotr Stepanovitch Verkhovenski, militant révolutionnaire est un manipulateur de première. Il intrigue à tout va en essayant d'influencer son entourage pour les amener à ses idées. Au fil du temps, cette obsession politico-religieuse, l'amènera jusqu'au crime. Nikolai Vsévolodovitch Stavroguine, lui, est un jeune homme séduisant et fascinant, mais tout autant manipulateur et il porte dans son passé une lourde faute : il a violé une fillette qui s'est suicidée. Tous deux sont donc des démons possédés en plus par les démons de la politique, et par les démons de leur propre culpabilité. (C'est une constante chez Dostoievski). Autour de Piotr et de Nikolai gravitent d'autres personnages, souvent touchants, qui se trouvent attirés comme des météorites dans l'orbite des principaux protagonistes : Stepan Trophimovitch Verkhovenski (le père de Piotr) et Barbara Petrovna Stavroguine (la mère de Nikolai) s'aiment depuis toujours et ne se l'avouent qu'à la fin du roman ; la femme de Nikolai, la malheureuse Maria Timofeievna (elle est boîteuse, attardée mentale mais d'une belle lucidité) ; Daria, qui aime sans espoir Nikolai… Comme on le voit les démons de l'amour tourmentent aussi nos héros.
Avec « Crime et Châtiment », « L'Idiot » et « Les Frères Karamazov », « Les Possédés » constituent le quatuor majeur de l'oeuvre de Dostoievski, le corpus indispensable pour cerner (si c'est possible) ce grand génie de la littérature russe et universelle. On pourra y ajouter d'autres titres importants comme les « Souvenirs de la Maison des Morts », les « Cahiers du Sous-sol », « L'Adolescent », « le Joueur », « L'éternel mari », ainsi que beaucoup de ses nouvelles, comme lui pétris de réalisme, d'inquiétude, de foi (ou de recherche de foi) et débordants d'humanité.
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