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Critique de ninachevalier


La synthèse du camphre - Arthur Dreyfus – Gallimard ( 254 pages- 21€)

Le narrateur rend hommage à son Grand-Père dont l' adolescence ne fut pas un long fleuve tranquille et « sans qui rien n' aurait jamais existé» de ce livre. Il opte pour le tutoiement comme s'il voulait revivre avec ce grand-père toutes les épreuves traversées durant la guerre et vérifier l' exactitude des faits , nourri par ses récits et confidences. Cela débute par la fuite à vélo , à16ans .
Ce sont les études interrompues , son engagement comme son frère dans les réseaux malgré le danger encouru, son arrestation , son évasion de la prison de Limoges , sa déportation à Dachau et l' horreur des camps :«  On y entre par la porte , on en sort par la cheminée » , le travail forcé , la faim , le froid , la perte de compagnons, la famille qui manque. Comment a-t-il réussi à surmonter toutes ces vicissitudes ?Où puisait-il sa force ? Il trouva dans la forêt un soutien , la mélodie de Schubert comme échappatoire. Parfois c' était la main de Victor son « piolet de secours ». Il convoquait aussi «  la montagne , le bleu pâle des glaces éternelles » ou la Méditerranée , pour sa survie. Il réchappa de l' incendie du Block grâce à un soldat américain . Son sauveur assura son retour en France , son passage par le Lutetia avant de reprendre une vie normale «  comme une pelote de laine, tu la tisses d' un air surpris , ris, jouis, voyages, dégustes » . L' émotion est à son paroxysme lors des retrouvailles familiales . Il décrochera le diplôme d' ingénieur chimiste , d' où le titre énigmatique du roman , correspondant au sujet de son examen final .
Ce récit est entrecoupé par les échanges de mails entre le narrateur Ernest et Chris, un internaute rencontré sur un forum d' adolescents . L' auteur ne restitue au lecteur que les pensées de Chris . Ils se livrent aux confidences . Chris dévoile son homosexualité, tente d' aider Ernest dont les parents ne l' accepte pas et vit mal d' être rejeté. Chris ne cache pas son attirance , son envie de « frémir comme des amoureux », lui avoue ses désirs , le manque de la douceur de sa voix , de son torse lisse . Leurs paroles deviennent plus intimes ainsi que leurs cadeaux réciproques ( enduits de fluide d' amour). Ces « âmes soeurs »partagent le même goût pour la littérature . Ils planifient leur rencontre lors de la venue à New-York du narrateur invité par la famille de Bob , le GI qui a retrouvé les traces de son grand-père . L' euphorie habite Chris , anticipant leur communion des corps , si impatient de «  le voir , le toucher , le pénétrer » . le récit prend un ton pathétique à l' annonce de la maladie de Chris . Son père prend le relais afin de respecter ses volontés , mais on devine Ernest réticent à ses avances . le prendrait il pour un pervers quand il , lui avoue « l' envie de réessayer » avec lui ?
Pour contrebalancer les épisodes où sévissent la barbarie , la violence , les atrocités , le carnage , l' auteur glisse des instants de fraternité entre Félix et Gino ou lors des retrouvailles de Félix et son frère liés par « une cordée invisible » ; d' amitié entre Félix et Paul qui le cacha ; d' humanité prodiguée par l' irruption thaumaturgique de ce sauveur , plein de gentillesse et de prévenance. S'y ajoutent des notes lénifiantes de musique, « épicées, camphrées »de parfum et de poésie : Chris exprimant son désir de « butiner » à travers Lamartine et Wordsworth .Et enfin les effusions indicibles quand Félix retrouve Bob « son père , son frère , son ami de toujours » venu le visiter.
L' auteur a « reconstitué l' amphore , comme un archéologue recolle des tessons », toutefois il laisse planer le doute quant à l' authenticité du témoignage de son grand-père , soulignant les limites de la mémoire . Il s' interroge : Et si le sauveur qui « a déterré les vestiges de son drame et les a ranimés » n' avait été qu' une chimère ? Et si «  cet être impossible » qui a tendu la main au narrateur «  isolé dans sa détresse » n' avait été «  qu'une synthèse, une perversion » ? On serait tenté de conclure comme Chris que « les difficultés se transforment en matériau de création » .
Arthur Dreyfus signe un roman dense par la vie du protagoniste qui paya un lourd tribut pour son
engagement , victime des secousses de la seconde guerre mondiale , l' incarnation même du courage et de la résistance ; dense des sentiments : l' amitié , l' amour plus fort que la mort. Les thèmes de la déportation et de l' homosexualité, du combat contre l' adversité sont abordés de manière originale .Un récit marqué par l' admiration d' un petit-fils envers son grand-père en qui il a « décelé une étincelle drôle, espiègle » et rassurante .Un récit intense qui balaye cinq décennies depuis la lutte contre l' envahisseur nazi au 11septembre 2001(aux USA) et l' auteur de citer une liste de personnalités associées à cette période ( de Bourvil, Malaparte, Auriol ,à Claire Chazal).
L' émotion et la curiosité rattrapent aussi le lecteur au fil des pages et ne le laissent pas indemne .
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