« On ne peut pas construire des nuages. Et c’est pourquoi le futur que l’on rêve ne devient jamais vrai. », écrit Wittgenstein. Le rêve est un futur antérieur qui ne consiste pas à prédire mais à réorganiser ce que nous croyons muet ou sans possible, à raconter une projection dans une action perdue. (..)
Le rêve ne dit pas ce qui va arriver, il inaugure un chemin autre. Si je ne rêve pas, je n’ai pas de lieu en moi où puisse s’espérer le temps. Le temps est comme le sang du rêve.
Le rêve n’épargne rien, et pourtant il n’oblige jamais.
On peut aussi sauver sa vie en écoutant ses rêves à temps...Car le rêve a avec le temps une affinité particulière : il le déjoue en nous donnant accès à une temporalité autre.
Que peut le rêve? La question est plus que jamais cruciale. Avec la capacité de rêver, l'humain convoque une intelligence aussi vaste de la perception qui déborde de toute part de la conscience. Ce qui informe l'intelligence du rêve, et dont les anges et les génies sont des figurations tardives et magistrales, est un appel sans cesse renouvelé à une conversion dont les possibilités de créations seront toujours un défi à la fermeture programmée des horizons illimités.
Présage "Vous voulez être responsable de tout! Sauf de vos rêves: Quelle lamentable faiblesse, quelle absence de courage logique! Rien ne vous est plus propre que vos rêves! Rien n'est davantage votre oeuvre!". Nietzsche, Aurore
Rencontrer son génie est un présage lourd à porter, la lampe qu’il tient à la main fait des ombres grandissantes. Elles sont le double obscur de la lumière de l’inspiration. Comme s’il fallait à cette lumière consumer beaucoup de nuit pour pouvoir éclairer un pan de réalité. L’enchantement que divulgue le moment d’inspiration masque les temps perdus à être éprouvé par le vide ou la nuit ou l’absurdité. Ce qu’on a appelé, en d’autres temps, le Spleen. (…) L’inspiration vient dans l’écriture inventer une forme parfaite pour ce qu’il y a à dire. Sa lumière semble à l’écrivain, ou au peintre, venir de plus loin que lui-même, depuis les territoires d’une enfance gardée intacte, et s’imposer dans une ordonnance secrète à laquelle il doit obéir. Cette lumière emporte avec elle des obscurités redoutables qui sont en quelque sorte la dette que le poète ou le créateur devra payer pour cet enchantement.
L'intelligence créatrice "Le génie poétique n'est pas le don verbal (...) c'est la divination des ruines secrètement attendues, afin que tant de choses figées se défassent, se perdent, communiquent. Rien n'est plus rare." G. Bataille, L'Expérience intérieure, 1943, p. 229
p. 68: "... car le langage est ce qui, pour nous tous, "rêve et crée" bien avant que l'individu lui-même se soit mis à rêver et créer." L. Binswanger
On ne se remet pas de l’enfance, on se déplace au bord, on y revient en pensées, en rêves, en souvenirs – toute notre sensibilité en découle, et la manière dont le monde a trouvé sens en nous. Il y a des joies sauvages, des fulgurances, des abandons qui nous relient constamment, sans le savoir, à l’enfance. (...) La plénitude du temps vécu là, une fois pour toutes, ne nous quitte jamais. Du moins les créateurs le savent-ils, qui gardent l’à vif de cet âge où tout commence sans jamais finir – l’intensité du moindre après-midi de jeu ou même d’ennui. La sensation que chaque chose compte, le détour d’une ombre dans la chaleur d’août, la rumeur de la ville derrière les stores à l’heure où la nuit vient.
Nous sommes des êtres si peu conscients, même si notre étrange somnambulisme inclut des actes et des pensées d’une intelligence redoutable. Nous agissons la plupart du temps selon des coordonnées qui dessinent une trajectoire invisible, tenus par des loyautés dont nous ignorons tout, dans l’orbe d’inimitiés ou d’attractions pulsionnelles aussi prévisibles qu’une mathématique, et c’est ce que nous appelons « être au monde »…