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Critique de Biblioroz


Diable, comme c'est vivant et passionnant de traverser une petite page de la Régence sous la plume affutée, ironique ou tendre selon les propos, d'Alexandre Dumas ! Cette page nous est offerte avec un cortège de dialogues savoureux et sarcastiques donnant un petit esprit facétieux à une histoire pourtant relativement funèbre.

Hiver 1719, le Régent Philippe d'Orléans, talonné par son ministre l'abbé Dubois, arrive à l'abbaye de Chelles où sa seconde fille, nommée abbesse pour se ranger de quelques dissipations antérieures, semble animer le cloître avec des nuits de musiques et d'orgies. Ce genre de déportement dépasse la grande indulgence du duc qui s'en vient gronder sa fille et qui repart en la croyant folle alors qu'elle vient de jeter au feu instruments de musique et partitions pour faire pénitence.
Pour se consoler, le Régent va ensuite voir sa fille aînée bien-aimée la duchesse de Berry. Trop tard pour empêcher que celle-ci se marie en secret avec son amant que le duc avait exilé à Cognac. Une mésalliance intolérable pour Philippe d'Orléans !
Reste son fils, qui va sur ses seize ans, mais qui préfère annoter de ses idées théologiques un rouleau de papier plutôt que faire la cour à la maîtresse de son père…
Affreusement désappointé par sa progéniture, le Régent se tourne alors vers le couvent des augustines de Clisson où une fille d'un ancien amour y est soigneusement cachée depuis des années.

Changement de décor, nous voilà aux abords du couvent où l'on assiste avec tendresse aux rendez-vous amoureux d'Hélène de Chaverny avec le chevalier Gaston de Chanlay dont la barque glisse depuis plusieurs mois sur le lac, se dirigeant silencieusement vers les roseaux en contrebas d'une fenêtre où la belle attend le signal convenu. Ils sont jeunes, ils s'aiment mais l'une est rappelée à son père dont elle ignore complètement l'existence et l'autre fait partie d'un petit groupe de conspirateurs bretons et vient d'être désigné pour éliminer le Régent.

L'Histoire est en marche et nos amoureux séparés envisagent un avenir sombre même s'ils ont la chance de cheminer vers Rambouillet presque conjointement. Gaston, transi d'amour, est un honnête homme, quelque peu naïf, plaçant l'honneur au-dessus de tout. Il ne se méfie pas de l'étendue du pouvoir du diabolique Dubois qui est également prêt à tout pour assouvir son ambition, celle de décrocher la mitre d'archevêque ou un chapeau de cardinal. Corrompre l'entourage du chevalier pour une poignée de louis est chose aisée surtout lorsque Gaston est absorbé à guetter Hélène à chaque relais et savourer le moindre frôlement de robe ou perception de souffle.
De trahisons en méprises, de multiples mystifications face à la crédulité du pauvre Gaston en sournoiseries de plus en plus cataclysmiques de l'abbé Dubois, la menace de la Bastille se fait sentir pour les conspirateurs. La prison d'État abrite déjà les anciens sujets de la conspiration de Cellamare.

Amours, regards tendres échangés et angoisses étreignent cet adorable couple mais le caractère visiblement inévitable de l'acte dicté par l'honneur assombrit dangereusement leur avenir. Hélène ignore encore que son chevalier avait engagé sa parole vis-à-vis de quatre Bretons qui attendent au pays. Et comme le stipule Gaston, Le Breton est constant dans la haine comme dans l'amour.

Ce roman alliant Histoire, amour et tragédie s'amuse à entremêler des destins quitte à abuser les pauvres jeunes en se jouant des identités, faisant presque penser à une pièce burlesque.
Le Régent nous apparaît ici plein de mansuétude, je ne sais pas du tout si c'était un des traits de son caractère à l'époque ou si Alexandre Dumas lui a généreusement prêté cette qualité pour le besoin de la rédaction de cette aventure. Mes lacunes en Histoire de France ne me permettent pas de faire la comparaison ! Quant à l'abbé Dubois, qui suit son Altesse comme son ombre et devance bien souvent les ordres qu'il doit en recevoir, son portrait est on ne peut plus machiavélique et ses manigances font toujours suite à son sourire de singe. le duc d'Orléans le traite justement de faquin à plusieurs reprises et son impertinence se reflète superbement dans chacun des échanges de ce duo explosif irrésistible. le Régent est loin d'imposer ses volontés et cède immanquablement devant la tête de fouine de son ministre qui, de son côté, sauve le Régent de sa sensiblerie.

Cette page d'Histoire est réellement prenante et je l'ai dévorée en deux petits jours me figurant le carrosse du couvent sur les routes glissantes de cet hiver 1719, les lettres habilement décachetées à la vapeur pour déjouer le complot, les querelles faisant émerger les épées, les chevaux couverts d'écume pour déjouer le destin. Et on y trouve, pour les fervents admirateurs des écrits du XIXe siècle des exclamations amoureuses enflammées désuètes, des coeurs fondants de bonheur ou lamentablement désespérés, un vocabulaire et des temps de verbe oubliés et cette richesse des échanges pleins de politesse même lorsqu'ils sont finement mais diablement railleurs.
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