IL DEMEURE IMPRÉVISIBLE. IL NAÎT D'UNE TEMPÊTE AU LOIN, AU PLUS PROFOND DE L'OCÉAN, À L'ABRI DES REGARDS, EN FAISANT GRONDER LES FLOTS.
IL SURGIT, CANALISÉ, CONCENTRÉ, SE FORME, SE PRÉCIPITE, CHARGEANT DE TOUTE SA FORCE AVANT D'ATTEINDRE LE POINT DE RUPTURE.
IL CROÎT JUSQU'À NE PLUS POUVOIR TENIR SA FORME.
IL DEVIENT INSTABLE ET S'EFFONDRE.
IL FINIT PAR SE RÉPANDRE EN UNE SURFACE UNIFORME ET CALME.
Son cancer l’avait menée de déception en déception. La maladie se jouait d’elle. Si elle lui accordait un peu de répit, c’était pour mieux revenir, encore et toujours plus forte. Le cycle cruel de rémission et de rechute, semblait sans fin. Il y eut toutes les opérations, la chimiothérapie… Mais on gardait toujours espoir. Chaque rechute la broyait. Mais inlassablement, elle ramassait chaque fragment de son être et se préparait au prochain combat. Durant les périodes d’accalmie, elle était bien décidée à rattraper le temps perdu.
Elle ne me réservait que des belles choses. Même quand sa santé était prioritaire. Elle nous a toujours fait passer en premier. Elle n’a jamais renoncé.
C’est après l’anniversaire de Kristen que nous avons commencé à surfer sans elle. Je voyais bien que ça la blessait qu’on l’abandonne. Sa souffrance était palpable. Elle ne pouvait tout simplement plus suivre notre rythme et nous ne l’avons pas attendue. Cela nous faisait bizarre de surfer sans elle, mais notre culpabilité ne pesait pas lourd.
Cela vient par vagues.
C'est une réponse un peu lapidaire, mais juste.
Le vide est constant.
Mais le chagrin du deuil n'a pas de forme propre.
Il va et il vient.
Le chagrin du deuil va et vient par vagues. Il demeure imprévisible. Il naît d'une tempête au loin, au plus profond de l'océan, à l'abri des regards, en faisant gronder les flots
Sur une planche, on est totalement affranchi des contingences terrestres .
L’espace d’un instant on est le capitaine de son destin, de son vaisseau miniature.
Les Romu du subconscient se dissolvent et s’oublient, jusqu’à ce que les tensions du vivant s’accumulent à nouveau.
Après la mort de Kristen, j’ai passé beaucoup de temps seul, dans l’eau.
Mon isolement inquiétait mes proches.
Ils me demandaient comment j’allais et j’avais bien du mal à répondre.
J’ai fini par trouver les mots que je cherchais.
« Cela vient par vagues »
C’est une réponse un peu lapidaire mais juste.
Le vide est constant.
Mais le chagrin du deuil n’a pas de forme propre.
Il va et il vient.
Il demeure imprévisible. Il naît d’une tempête au loin, au plus profond de l’océan, à l’abri des regards, en faisant gronder les flots.
Il surgit canalisé, concentré, se forme, se précipite, chargeant de toute sa force avant d’atteindre le point de rupture.
Il croît jusqu’à ne plus pouvoir tenir sa forme. Il devient instable et s’effondre.
Il finit par se répandre en une surface uniforme et calme.
Et puis l’eau se retire avant que la vague ne se reforme à nouveau
Les survivants se réfugièrent là où les étrangers n'oseraient plus les poursuivre.
L'océan.
Mes yeux ont suivi l'arête de son nez.
La ligne fine de ses sourcils.
Elle avait les yeux couleur d'ambre.
Elle était parfaite.