La pensée vivante qui s'élance d'un roncier mortel provoque l'élongation et la maigreur des figures. Elles ont perdu leur excès de graisse dans le feu qui les redresse. La terre froide découvre et révèle sa forme par la chaleur des mains qui la façonnent. Et le brouillard gris de la toile balayée laisse apparaître les traits saillants de la tête creusée dans le roc.
L'oeuvre est en gestation, l'homme est en marche à l'intérieur de sa vision. Il poursuit rageusement, joyeusement, un objet qui lui échappe. Chaque fois qu'il croit le saisir, il est contraint de le détruire et de recommencer sans faiblir. Il ne cesse d'en parler:" Il est exclu pour nous de faire une tête rigoureusement telle qu'on la voit. Et il ne peut y avoir de fin possible. Plus tu t'approches de cette tête, plus elle recule, et la distance qui me sépare d'elle augmente, m'oblige ant à m'approcher toujours davantage. Si quelqu'un posait pour moi pendant mille ans, je lui dirais dans mille ans: tout est faux encore, mais je m'approche un petit peu."
Le peintre et le modèle forment un couple , au sens amoureux mais aussi au sens de la physique appliquée. Une lutte sans vainqueur, sans autre enjeu que le tableau. Et l'on retire de la pose une grande fatigue, si l'on n'est pas aguerri par l'habitude. L'immobilité du modèle contraste avec le mouvement déployé par son image en devenir sur le tableau. A la fin, leur identification résolue révèle une irréductible distance, un fructueux désaccord. Mais il n'y a jamais de fin.