AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de CarlmariaB


Aujourd'hui, c'est l'armistice, le jour du souvenir. Avant d'être envoyé sur le front d'Orient à Salonique (Thessaloniki), André Durkheim avait été blessé en juin 1915 et s'était requinqué à l'hôpital militaire de Brest, où son père, Emile, lui avait rendu visite, sous un grand soleil, le dernier qu'ils partagèrent. J'avais été frappé dans l'Horreur Allemande par les descriptions que donne Pierre Loti des actes des troupes allemandes, qui l'avaient glacé par leur sauvagerie rationnelle. Loti a en commun avec André d'avoir servi dans les Balkans – ce qui a inspiré aziyadé, Les Désenchantées etc. - et en commun avec Emile d'avoir un fils au front (Samuel), d'être dévoré par l'angoisse et le désir d'agir malgré l'âge, quand il ne dispose d'autre arme pour combattre que l'écriture. Loti, l'officier dont Pétain ne voulait pas à Verdun (pas besoin d'un marin...) écrit sur le front. Durkheim écrit à Paris, un opuscule court et brillant, publié dix mois à peine après la déclaration de guerre. L'Allemagne au dessus de tout est relu aujourd'hui car il ouvre la voie à une sociologie des relations internationales, et aussi parce que c'est un oracle, qui n'a l'air de rien mais qui annonce tout. Ibis, redibis nunquam, per bella peribis. « Il est inadmissible (...) que l'Allemagne qui hier faisait partie de la grande famille des peuples civilisés ait pu mentir à ce point aux principes de la civilisation humaine. Il n'est pas possible que ces hommes, que nous fréquentions, que nous estimions, qui appartenaient en définitive à la même communauté morale que nous, aient pu devenir ces êtres barbares. ». Et pourtant le Kaiser Guillaume II l'a dit « l'humanité finit aux Vosges ». Et ils l'ont fait, sans scrupules et dans l'ordre. « les soldats qui ont commis les atrocités qui nous indignent sont pour la plupart des hommes honnêtes qui pratiquent exactement leurs devoirs quotidiens. » On songe à Arendt en lisant Durkheim qui convoque toute la sociologie qu'il a créée pour expliquer l'horreur, dans l'espoir que son analyse empêchera qu'elle advienne, encore. Une réflexion sur la culture, la société et l'Etat, autarcique, absolu dont la barbarie nait de l'effort qu'il fournit, comme Prométhée, pour s'arracher aux conditions de l'existence humaine et naturelle, pour affirmer son être idéal, supérieur. « Seulement cet idéalisme a quelque chose d'anormal et de nocif qui en fait un danger pour l'humanité toute entière. » Durkheim livre les clés de la Grande Barbarie, le texte de Loti sur le martyre de la Belgique aux mains de la Reichswehr. L'Allemagne « s'est attribuée toutes les supériorités : puis pour rendre intelligible cette supériorité universelle, elle lui a cherché des causes dans la race, dans l'histoire, dans la légende. » Elle s'est inventée un destin et l'accomplit avec ce mélange abominable de pragmatisme et d'idéalisme, dans lequel « la guerre est morale et sainte », la culture et les arts « un penchant inférieur de notre nature », les conventions internationales « des chiffons de papier » la mise à mort des blessés, les bombardements des villes par surprise, la destruction de l'art, la chimie, le gaz, les moyens que justifie la fin. En février 1916, Emile était toujours sans nouvelles de son fils. André était mort au combat le 18 décembre 1915. Il est enterré dans le petit village de Davidovo en Bulgarie. Emile mourut de chagrin l'année suivante.
Commenter  J’apprécie          4113



Ont apprécié cette critique (40)voir plus




{* *}