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Critique de Eve-Yeshe


L'auteur nous raconte un pan de l'histoire de la Roumanie, des années trente jusqu'à 1945, à travers une histoire d'amour entre une jeune étudiante Eugenia Radulescu et un écrivain juif célèbre Mihail Sebastian.

Eugenia a été élevée dans une famille où règne un antisémitisme pur et dur, son frère aîné Stefan ayant même rejoint la milice populiste qu'on appelle la « Garde de Fer » qui défile en terrorisant les Juifs, les maltraitant, et font du racolage...

Elle fait la connaissance de Mihail le jour où celui-ci vient faire une conférence dans son université, en 1935, conférence organisée par une enseignante qu'elle admire, Madame Costinas, laquelle jouera un rôle déterminant dans sa vie.

Lors de cette conférence, Stefan envoie ses sbires frapper Mihail, et Eugenia, horrifiée, aide son professeur à le prendre en charge. C'est ainsi que commence une prise de conscience chez la jeune étudiante.

« Il est inoubliable le moment où nos paupières se dessillent, où nous comprenons que nous avons été abusés. » P 37

En fait, les Roumains n'ont jamais accepté que les Juifs entrés chez eux à la fin de la première guerre mondiale aient été naturalisés, et sur fond de crise, il est tellement simple de rejeter la faute sur une population désignée d'avance…

« Pour nous, ces juifs venus de Galicie, de Russie, de Hongrie, de Pologne, d'on ne savait trop où encore, qui avaient envahi notre ville sans vergogne et dressé leurs synagogues ici et là, demeuraient des juifs, des étrangers, et ne seraient jamais de véritables Roumains. » P 22

On découvre ainsi le comportement de la Roumanie, pendant la guerre, le roi Carol II tentant de ménager la chèvre et le chou, les actifs de la Garde de Fer sont arrêtés jugés exécutés, le mouvement interdit, malgré la fascination du peuple pour Hitler, mais il y a eu la signature du pacte germano-soviétique et la grande peur de l'URSS qui veut récupérer des terres conquises par la Roumanie : Bessarabie, Bucovine…

Quand la guerre éclate avec l'URSS Andrei, le jeune frère d'Eugenia est envoyé au front, tant que Stefan s'est réfugié à Berlin, planqué dans l'entourage d'Hitler. Mais les Russes finissent par l'emporter et évidemment c'est de la faute des Juifs d'où le pogrom de Jassy en juin 1941 (comme il y a eu celui de Bucarest en janvier) qu'Eugenia nous raconte dans le détail, arpentant la ville pour couvrir les évènements pour un journal de Bucarest.

Cet évènement va déclencher des prises de conscience, des gens vont entrer dans la Résistance, tous ne sont pas des collabos à la botte des nazis. Comment peut-on assassiner du jour au lendemain des gens qui ont été des voisins, des proches parfois ? c'est une question que je poserai toujours car elle reste malheureusement d'actualité, on connaît l'effet « meute » …

Les exactions de la Garde de Fer étaient d'une telle violence que même Hitler et ses troupes s'en inquiétaient… Selon cet officier, le chaos qui s'installait dans le pays inquiétaient de plus en plus les Allemands et ils ne laisseraient sûrement pas la situation perdurer. » P 204

Tout au long de ce roman, c'est Eugenia qui parle, utilisant le « je » et on assiste à son évolution, son éveil politique ; on voit évoluer sa réflexion, son appréciation de la situation, et son comportement va se modifier en profondeur; en même temps, elle découvre un autre univers, le monde de Mihail et de son écriture… elle ne porte pas de jugement péremptoire, elle constate les actes et les paroles des uns et des autres et les note de manière la plus objective possible, ce qui ne l'empêche pas de réfléchir sur la responsabilité des hommes et la répétition d'évènements qu'on pensait ne jamais voir se reproduire, tant ils étaient atroces.

Lionel Duroy alterne des évènements du présent (1945) et du passé, et mêle habilement l'histoire d'amour, plutôt à sens unique, entre Eugenia et Mihail, ce qui donne un rythme particulier à ce récit puissant et passionnant. Il évoque aussi très bien les déchirements dans une même famille, lorsque les enfants ont des engagements qui s'opposent, et le rôle de l'éducation, dans le rejet de l'autre.

Je connaissais peu l'histoire de la Roumanie et son côté fasciste pro nazi, à part, Ceausescu, le génie des Carpates, ainsi qu'il se surnommait, son exécution, Petre Roman, ou encore Nadia Comaneci… Donc surtout l'histoire après 1945. J'ai donc appris beaucoup de choses et ce roman m'a donné envie d'en savoir davantage sur Mihail Sebastian, ses livres, notamment « Depuis deux mille ans », son journal, dont l'auteur nous donne des extraits, ses pièces de théâtre…. Et bien sûr sur les protagonistes du pogrom, tel le général Antonescu…

Ce qui fait aussi l'originalité de ce roman, c'est le choix que fait Lionel Duroy de commencer le récit le 30 mai 1945, nous disant d'emblée si Mihail a survécu ou on à cette guerre, ce qui permet au lecteur de profiter de l'histoire sans se poser la question de manière lancinante…

J'ai adoré ce roman, qui avait tout pour me plaire car cette période de l'Histoire me passionne, et j'ai été conquise par le travail de recherche et le style de Lionel Duroy, dont j'aborde l'oeuvre pour la première fois, alors que plusieurs de ses livres sont dans ma PAL débordante…

Auteur à suivre de plus près donc.
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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