AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de JustAWord


Qu'arrive-t-il quand une éditrice prend la plume ?
C'est à cette question qu'Un Long Voyage tente de répondre.
Premier roman de Claire Duvivier, l'une des co-fondatrices des excellents éditions Asphalte avec Estelle Durand, Un Long Voyage se range dans la catégorie fantasy mais pas n'importe laquelle : une fantasy dénuée de créatures fantastiques et autres mages qui jalonnent habituellement ce genre d'histoires.
Trouvant son chemin auprès des Forges de Vulcain, Un Long Voyage tente à présent de se faire une place dans les rangs de la fantasy française en évitant les pièges du premier roman. Un exercice pour le moins complexe.

Un voyage inattendu
Loin des stéréotypes habituels, Un Long Voyage s'ouvre sur un tabou.
Celui qui entoure Liesse, petit garçon du village de Roh-henua, l'une des îles de l'Archipel, dont le père décédé laisse la charge écrasante de trois enfants à une mère désormais seule. Les sages du peuplement décide alors que le cadet de la famille sera retiré de la garde de sa mère pour alléger son fardeau.
C'est ainsi que Liesse est confié au comptoir impérial de Tanitamo, capitale de l'Archipel situé sur l'île de Tan-henua.
Vendu comme un esclave, il atterrit donc au sein de la communauté impériale, occupant et souverain de l'Archipel, dont les membres vont l'élever comme l'un des leurs par la force des choses.
Au sein de cette concession, Liesse va rencontrer une figure importante de l'Empire, une jeune régisseuse promise à un avenir particulièrement brillant : Malvine Zélina de Félarasie. Au fil du temps, le jeune homme se lie d'amitié avec Malvine jusqu'à accepter de l'accompagner à l'autre bout de l'Empire dans la Cité-État de Solmeri, la plus petite province impériale.
Il n'a alors aucune idée que sa vie en sera changée à jamais et qu'il devra, un jour, raconter les terribles événements qui s'abattirent sur les habitants de Solmeri pour que les générations futures connaissent la vérité sur leur propre passé.
Histoire intimiste dès les premières lignes, le récit de Claire Duvivier emprunte la plume de son personnage principal, Liesse, qui couche en réalité ici les différentes étapes de son existence dans un but affiché dès le début : témoigner au sujet de Malvine, grand personnage historique du monde où évolue notre modeste héros.
Avant toute chose, Un Long Voyage explique la jeunesse d'un gamin qui, toute sa vie durant, se sentira étranger, pris entre les mâchoires de ses propres origines et des diverses influences étrangères qui s'exerceront sur lui au fil du temps, des îles de son enfance à la Cité-État de Solmeri en passant par la capitale de l'Empire, Grande-Quaïma. Avec une langue remarquablement subtile et d'une fluidité déroutante, l'autrice française décrit non seulement un monde sobre et crédible par petites touches mais surtout un voyage, celui de Liesse (et de Malvine au passage) à la fois sur le plan matériel mais aussi, et surtout, sur le plan psychologique. le lecteur devient ainsi l'invité d'une existence, suivant les remous qui viennent secouer Liesse et les gens qu'il croisera.

Perpétuer l'Histoire
Surtout, Un Long Voyage parle du temps et de l'histoire, celle avec un grand H et celle, plus méconnue mais toute aussi importante, qui utilise une minuscule pour une vie que l'on pourrait croire entre parenthèse.
Liesse livre non seulement son autobiographie mais également la biographie de Malvine, cette grande servante de la Timonerie (le nom donné à l'Administration de l'Empire) qui finira injustement dans l'ignominie.
Ce Long Voyage est aussi celui de la réhabilitation, celle d'une femme qui aura voulu vivre sa vie de la façon la plus droite possible malgré les épreuves et qui aura donné jusqu'à son dernier souffle pour son peuple assiégé.
Claire Duvivier explique l'importance de l'historien et de la vérité transmise à travers les âges. Entre les lignes, Liesse se fait témoin de son époque, témoin d'une société qui se termine et d'une autre qui commence. Il contemple avec horreur le passé se heurtant au présent avec tous les dangers que cela suppose…
Si le noeud de l'intrigue pourrait se situer dans la mystérieuse disparition de Malvine, c'est à côté qu'il faudra pourtant chercher, dans le regard d'un homme qui affronte les mêmes tourments que les gens du peuple et qui les comprend donc d'autant mieux. En se mettant à hauteur humaine, l'autrice porte un regard tendre sur les personnages que croisent Liesse. Elle dissèque les rapports sociaux et les ambitions des uns et des autres, les rancoeurs et les joies, les peines et les amours déçus. D'une façon qui rappelle furieusement Ursula K. le Guin, Claire Duvivier soigne l'intime et en fait une parabole sur l'être et l'existence pour croquer le temps qui passe tout en rappelant que le souvenir doit respecter la vérité historique.
Construire des ponts
Mais au final, c'est un message d'une profonde et vibrante humanité qui irrigue l'ensemble du roman. Pont entre les peuples et les générations, entre les empires et les époques, le récit de Liesse offre enfin une place au personnage d'à côté, celui qui n'est ni le grand guerrier ni le politicien reconnu. Claire Duvivier permet de suivre un héros de l'ombre, un petit scribe, un bras droit, un ami, un confident, un père. Liesse ne sera jamais celui qui fera l'Histoire mais son rôle à l'intérieur n'en reste pas moins primordial, aussi primordial qu'une simple main posée sur un bras frissonnant peut l'être.
Tout au long de ce voyage, l'autrice nous montre des peuples différents mais qui arrivent toujours, d'une façon ou d'une autre, à établir entre eux des ponts. Cela ne se fait jamais facilement, n'arrive jamais sans errements ou sans drames, mais la vie trouve toujours une façon d'unir ceux qui, hier encore, pensaient ne jamais pouvoir vivre ensemble.
Roman plein de tolérance et magnanime jusqu'à la dernière ligne, Un Long Voyage traverse les âges et les générations, montre que malgré la fin des Empires et malgré les désastres, tout continue, à commencer par l'humain.
En nous réside toujours une part de vérité, celle qui fera un jour se lever un soleil nouveau sur le passé de générations autrement oubliées, voilà le plus bel enseignement d'Un Long Voyage, celui du coeur qui se souvient.

Sous la plume de Liesse, Claire Duvivier donne chair et âme aux petits héros, ceux dont on ne parle jamais et qui, pourtant, font aussi l'Histoire. En évitant l'esbroufe et les clichés inhérents au genre, Un Long Voyage parle de tolérance, d'humanité, de vérité et de modestie, sanctifiant le rôle de l'historien et du souvenir.
Simplement l'un des plus beaux romans de fantasy française de ces dernières années.
Lien : https://justaword.fr/un-long..
Commenter  J’apprécie          330



Ont apprécié cette critique (30)voir plus




{* *}