Citations sur Minuit en plein jour (23)
Il faisait un froid glacial, et sur les montagnes un brouillard épais enveloppait toute chose, créant l'illusion d'un monde sans hauts sommes ni grandes profondeurs. De tous côtés, sombre repaire de fantômes, la forêt grimpait à l'assaut du brouillard.
Il ne le dit pas, mais il avait horreur des sous-marins. Il avait toujours évité d'y embarquer et était terrifié à la seule idée d'avoir un jour à le faire. Ce n'était que de la claustrophobie, mais elle évoquait furieusement ces cauchemars où l'on est enterré vivant.
II y a quinze jours, les religieux sont à nouveau arrivés au pouvoir. Ils ont remporté les élections grâce à des alliances qu'ils se sont empressés de dénoncer le jour même de leur victoire. A la suite de quoi, ils se sont accordé les pleins pouvoirs en décrétant l'état d'urgence. Tout le monde s'est dit que les généraux allaient à nouveau intervenir, mais les fondamentalistes n'entendaient pas se voir ravir leur victoire une deuxième fois.
De temps à autre, ils avaient aperçu des enfants de l’âge de Tina mais leurs ravisseurs ne les laissaient pas s’approcher et encore moins leur parler. En dépit de tous leurs efforts, Tina avait intériorisé son chagrin, et ils craignaient pour elle au cas où ce confinement devrait se prolonger. En vérité, ils craignaient pour eux aussi, mais le fait d’être ensemble leur permettait de mieux affronter la douleur.
Lorsque vous vous êtes engagé, vous saviez que vous devriez renoncer à un certain nombre de droits dont jouissent les autres citoyens. Le premier amendement ne s'applique pas à ce que l’état considère comme secret ou ultra secret.Comme vous pouvez vous en douter, les événements d'aujourd'hui ont été classés de façon qu'ils ne soient jamais rendus publics, ni de votre vivant, ni du vivant de votre fille, ni du vivant de ses enfants. quant au cinquième amendement, vous devriez vous rappeler que le droit de comparaître devant un jury d'accusation ne s'applique pas aux militaires en temps de guerre ou en cas de danger public. Le danger public qui nous menace n'a jamais été aussi grand.
Dès leur descente, on leur avait donné des vêtements chauds. Ils les portaient depuis lors, parfois même à l’intérieur, lorsque le poêle ne fonctionnait pas ou lorsque le temps devenait particulièrement inclément. La petite Tina en avait beaucoup souffert, et restait la plupart du temps à l’intérieur à regarder des vidéos. Rebecca et lui faisaient de leur mieux pour l’inciter à sortir, lui proposant des batailles de boules de neige ou des promenades en raquettes.
Par la fenêtre, son regard plongea dans l’obscurité. La neige était tombée un peu plus tôt, blanche, crissante et très froide. Il frissonna. Leurs conditions de détention étaient beaucoup moins confortables qu’à bord du sous-marin. Il avait été sidéré lorsqu’ils avaient enfin débarqué. C’était un sous-marin de luxe, destiné à un nabab et à ses amis, transformé pour accueillir un homme, sa femme et une petite fille.
Résidence du président. Lieu inconnu.
Jour après jour, il réfléchissait plus profondément à l’Holocauste. Non qu’il se vît lui-même comme une des victimes, car il ne cherchait pas à se comparer aux autres Juifs, mais il était président, issu du peuple, et il savait que son enlèvement avait porté un coup à ce peuple, à ceux qui avaient voté pour lui et à ceux qui avaient voté contre lui, Juifs, catholiques, protestants, ou rien du tout. Personne n’aurait pu prévoir l’attaque à Middlewick, et il n’en éprouvait aucune culpabilité. Il n’aurait rien pu faire. Mais, en même temps, en Europe, ils avaient été si nombreux à dire qu’Hitler les avait pris par surprise, et puis il y avait eu les lois de Nuremberg, la Nuit de cristal, etc., jusqu’aux chambres à gaz. Ils n’étaient nullement coupables. Mais un tel contexte lui fournissait un cadre pour ses comparaisons.
Et peut-être aurait-il dû voir venir cela, et pas seulement lui, mais également ses conseillers. Maintenant qu’il connaissait le but ultime de ses ravisseurs, il se disait qu’ils avaient été négligents.
Une seule fois, ils faillirent être découverts. Ce fut au cours d’une visite de l’agent Marsh, le policier du commissariat central d’Hexham, chargé du village de Middlewick. Marsh était un homme calme d’une cinquantaine d’années qui n’avait jamais cherché à gravir les échelons de la hiérarchie. Il s’enorgueillissait de ses bonnes relations avec la population et s’efforçait d’utiliser ses qualités pour écarter du mauvais chemin ceux qui auraient eu la tentation de s’’y engager.
Au cours de ces éprouvantes semaines d’attente, aucun des nouveaux habitants de Middlewick n’abandonna longtemps son rôle. Parfois, un petit groupe se réunissait pour discuter des événements en cours ou pour commenter un message codé transmis par le quartier général. Les instructions étaient strictes : ne rien faire qui puisse éveiller l’intérêt ni les soupçons. Il avait fallu deux ans pour élaborer cette opération, et rien ne devait empêcher sa réussite.