Entre autres, il y avait le fait indéniable que les lois du pays et l’efficacité sans relâche des forces de police veillaient à ce qu’aucun Noir ne dépasse les limites. S’il le faisait, on lui démontrait aussitôt son erreur et il l’oubliait rarement.
Quelque part, là, dehors, quelqu'un savait ce qu'il avait besoin de savoir. Il suffisait de trouver ce quelqu'un. Je dois le trouver, pensa Yudel.
Il connaissait les raisonnements – si on pouvait appeler ça comme ça – du genre d’hommes qui le poursuivaient. Qu’il soit de langue anglaise faisait de lui un étranger. Qu’il soit juif faisait de lui une créature à part – pas un homme, mais un Juif.
Yudel savait qu’il n’y avait pas plus borné qu’un fanatique qui croyait sincèrement en sa cause – et pour cette raison, pas plus dangereux.
— Bonsoir, dit Yudel en refermant la porte derrière lui, je ne m’attendais pas à vous voir ce soir.
Il offrit au policier son sourire relations publiques qualité supérieure.
Tuer un Afrikaner était un crime. Tuer un Juif, rien de plus qu’un vulgaire homicide. Mais N’Kosana était noir. Le tuer ne correspondait à aucun crime défini.
Entre cinq et sept heures du soir, l’exode matinal s’inversait. Les gens revenaient à Phontomol à pied, à bicyclette, dans de vieux bus bondés qui devaient se mettre en première pour grimper la petite pente, ou dans quelques voitures aussi surchargées que les bus, et servant le même objectif – la certitude que tout ce qui était noir aurait déblayé les rues de Middelspruit pour Phontomol avant le couvre-feu de neuf heures.
Un schéma sud-africain classique. Pas une ville qui n’ait sa banlieue noire. Sans elle, où le magasin trouverait-il son livreur, le dépôt de charbon son ouvrier, ou Mrs van Schalkwyck sa bonne ?
— Le jour avant que petit patron Marthinus est mort je vois Muskiet au kraal du bétail. Muskiet, son visage est gros comme si on l’a tapé. “Muskiet, qu’est-ce qui se passe ?” je dis. Muskiet me dit : “Anna, il m’a frappé encore. Le vieux patron Marthinus il me frappe jamais. Je veux pas que ce maudit crétin me frappe. Je le tue. Il croit que Muskiet est l’idiot. Je le tue.”