Et dans ce temps, rien ne serait arrivé qui justifie que je sois ici. Rien ne serait arrivé, se dit le revenant, rien qui m'ait conduit jusqu'ici, dans ce temps chaotique où je ne sais plus ce que veut dire l'habitude de vivre.
Je n'ai pas bougé pendant un instant, pendant que ça me revient, cette impression que je connais bien, cette impression d'être sur une barque qui s'éloigne de la rive et d'être en même temps cet homme debout sur la même rive, et qui regarde la barque s'éloigner, cette impression de me perdre de vue. p 136
Il s’appelle Maïs Seize-dix-sept ans. M’appelle Frère ami depuis que je suis là. Il ne faut pas l’écouter. M’en aurait vendu des lots, si je l’avais écouté : lots de médicaments, lots de talismans porte-clés, lots de logiciels piratés en Inde, lot de quatre roues pour la moitié du prix d’une.
Mozaya ne lisait pas les livres. Il entrait dans les livres , fouillant, repassant de coin en coin. Comme un botaniste herborise dans la touffeur d'une forêt vierge, il lisait "dans les livres". Comme on lit dans la fumée. p 68
Il arrive, dit Maïs, que les agences de recherche servent plus souvent de couverture à des tueurs à gages qu'à réunir la veuve et l'orphelin séparés par la guerre.
Une population sortie d'un long siège, mais dont l'esprit, lui, n'est jamais sorti de cette psychose collective que provoque un état de siège durable, qui porte le nom impénétrable de fièvre obsidionale.
On sait que bon nombre s'étaient fait baptiser quand l'administration coloniale avait décidé de dispenser les nouveaux convertis de travaux forcés, pour lesquels on procédait à des enrôlements et à des enlèvements. Comme cela se produit naturellement lorsque la jeunesse valide d'une population assiégée est sévèrement invitée à alimenter de sa sueur l'entreprise conquérante du vainqueur.
La vengeance n'est possible ou parfaite, ou efficace, que si l'on accepte de se perdre dans l'ombre du bourreau, imitant point par point ses rites meurtriers.