La mer étrange, violente et belle : voilà ce qu’elle avait voulu montrer à Lydia. L’océan baignait toutes les parties du monde, vaste rideau scintillant, tendu à travers un mystère.
Un grondement vibrant déchira les entrailles de l’Elizabeth Seaman. Bien qu’Eddie n’ait jamais entendu ce bruit, il savait que c’était celui de la mer s’engouffrant dans les soutes. Kittredge donna l’ordre d’abandonner le navire et une ambiance irréelle plana, une confusion redoublée par les ténèbres et la houle qui fouettaient le vaisseau mort comme un chat tentant de ranimer une souris épuisée.
Que faire d’autre avec une fille de huit ans, incapable de se redresser toute seule, à fortiori de marcher ? La saluer et la câliner ... Elle avait la peau veloutée des bébés. Plus elle grandissait, plus il était tentant d’imaginer, ce à quoi elle aurait ressemblé, si elle n’avait pas été handicapée. Une beauté. Peut-être plus belle qu’Agnès, certainement plus qu’Anna, une pensée cruellement stérile.
-Vous connaissez l'expression , fit Eddie. N'écris pas si tu peux parler, ne parle pas si tu peux hocher la tête.
Anna lui revenait après des années d'absence : sa voix babillarde, la sensation de sa main dans la sienne. Elle le tirait dans les couloirs de sa mémoire vers la pièce où il avait soigneusement remisé son ancienne vie. dedans il trouva tout comme il l'avait laissé.
L’erreur de cette fanfaronnade la frappa juste après, quand la voix de son père résonna dans son esprit :
" Ne révèle jamais rien, sauf si tu n'as pas le choix."
Elle aurait aussi bien pu être un garçon : ses bas pleins de poussière, ses robes pas très différentes des culottes courtes. Elle était un petit bout, une herbe qui pousserait bien partout, survivrait à n'importe quoi.
Les hommes menaient le monde, et ils voulaient baiser les femmes. Ils disaient : " Les filles sont faibles" alors qu'elles étaient leur faiblesse.