AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de VincentGloeckler


Un extraordinaire anti-road trip et une nouvelle parabole politique, de ces histoires symboliques rondement menées et pleines de rebondissements dont Dave Eggers a le secret, voilà ce que retient le lecteur, illuminé, quand il quitte, presque à regret, La Parade, au terme du roman ! Parce que, si tout au long de la lecture, on garde en mémoire ce que d'autres auteurs, Gracq, McCarthy, Vittorini ou Kerangal, ont fait de ce thème de la route ou de ceux, voisins, du pont et du tunnel, les traitant souvent comme des images de ce qui rapproche les hommes, ici la métaphore s'enrichit de multiples autres échos, nous engageant à réfléchir sur notre Histoire contemporaine et… à nous méfier des apparences.
Quatre et Neuf – cette réduction de leurs identités à des numéros laisse d'emblée envisager une certaine forme de conditionnement social – ont été embauchés, comme des techniciens compétents, pour parachever une route reliant le Sud à la capitale du pays, en la couvrant de macadam. L'enjeu est important, parce que le pays sort d'une longue guerre civile qui a opposé des rebelles au Sud à l'armée du Nord, et que la route, qui symbolise l'effort de réconciliation, doit être, une fois achevée, le théâtre d'une « parade », censée célébrer la reconstruction, la paix retrouvée. Et il faudra que l'enrobage de la voie soit parfait, un long ruban noir brillant, rehaussé sur le côté et en son centre de belles lignes jaunes.
Pour réaliser cette noble tâche, Quatre doit conduire le « finisseur » (le nom de l'engin fait frémir…), le RS-80, une extraordinaire machine à goudronner, toute neuve et conçue en elle-même comme un modèle d'univers autosuffisant. Neuf, quant à lui, veillera à faciliter son travail, en le précédant sur la route, à bord d'un quad, pour prévenir les obstacles et dégager du chemin les éventuels intrus. Mais, bien vite, les relations entre les deux hommes se dégradent. Quand Quatre, en bon petit soldat, s'emploie à respecter scrupuleusement les règles et le programme, Neuf, lui, prend de grandes libertés, allant au contact des gens de la région, partageant leur nourriture, leur conversation …et leur lit, quitte à contrevenir à toutes les consignes de réserve et de précautions sanitaires qui ont été données aux deux hommes. Quatre et Neuf, une « extension de la machine », comme le premier se définit lui-même, contre un enthousiaste indiscipliné, un dangereux électron libre… Quand Neuf finit par payer le prix de ses écarts, en tombant gravement malade, les rapports entre les deux hommes se transforment pourtant, et Quatre, le quasi robot, se pare d'humanité. le contrat sera-t-il finalement rempli ? La route achevée, avec les lendemains qui chantent qu'on nous laisse espérer ? A voir, à lire surtout…
Après le Cercle et son extraordinaire coup de théâtre final, Dave Eggers nous invite, avec la même malice et son inégalable talent de conteur, à tempérer notre optimisme et notre confiance dans les vertus de la résilience. Quand la littérature montre un regard d'une telle acuité sur le monde et ses faux-semblants, on en redemande !
Commenter  J’apprécie          90



Ont apprécié cette critique (5)voir plus




{* *}