L'empathie implique à la fois soi et autrui, elle en constitue la relation. Percevoir et comprendre ce qu'autrui a dans la tête en inférant ou en simulant, c'est se faire le spectateur de soi-même et d'autrui. L'homme social des neurosciences se montre sous la forme d'un enchaînement causal : il est d'abord spectateur, puis acteur. Les hommes sont bien dans ces idéaux "les miroirs des uns et des autres".
(p.297)
Au premier niveau, j’ai tenté de montrer comment les neurosciences et les sciences comportementales-cognitives tiraient leur autorité morale de la transfiguration, dans leurs concepts, leurs méthodes de démonstrations et leur langage, d’un aspect majeur de la modernité individualiste sur lequel repose une bonne partie de nos manières de vivre et d’agir. Leur réussite tient à l’intrication d’un système d’idées sociales et d’une théorie scientifique, celle-ci promettant de fournir un fondement solide à nos concepts sociaux les plus ordinaires et possédant donc la plus haute valeur.
Au second niveau, mais en poursuivant la même voie descriptive, j’ai voulu comprendre jusqu’où pouvait aller cette connaissance de l’homme pensant, sentant et agissant à partir de celle de son cerveau en vue de faire la part des choses entre la cohérence de ces sciences et leur pertinence, ce qu’elles montrent réellement. Cette démarche impliquait d’éviter deux écueils habituels en sociologie et en anthropologie.
Le premier consiste à opposer « notre » antiréductionnisme à « leur » réductionnisme, ce qui conduit à ne pas prendre au sérieux leurs avancées par une stratégie – trop facile – montrant la distance entre leur caractère partiel et leurs grandioses prétentions affichées. Le second écueil, à l’inverse, que l’on trouve chez les partisans de l’individualisme méthodologique, cherche à employer ces mêmes avancées pour améliorer nos propres disciplines.