[...] Ce faisant, je fais appel à l'une des plus vieilles croyances de l'humanité : l'avenir doit reproduire le passé. Ce qui s'est déjà produit se reproduira, et ce qui a été fréquent hier le sera demain. Voilà bien pourquoi nos ancêtres attendaient avec une certaine confiance que le soleil se lève après s'être couché : s'étant déjà levé un grand nombre de fois, il ne manquerait pas de le faire une fois encore.
Le scientifique, lui, vit dans un monde où il n'y a de certitude que provisoire. Son univers est un cimetière d'idées fausses et de théories dépassées, et la théorie même qu'il a adoptée n'est là que par provision, dans l'attente qu'une meilleure théorie vienne la supplanter.
Pourquoi les météorologistes ont-ils tant de mal à prévoir le temps avec quelque certitude ? Pourquoi les chutes de pluie, les tempêtes elles-mêmes nous semblent-elles arriver au hasard, de telle sorte que bien des gens trouvent naturel de prier pour avoir la pluie ou le beau temps, alors qu'ils trouveraient ridicule de demander une éclipse par une prière ? (Henri Poincaré expliquant la complexité des calculs liés à la météorologie, dans 'Science et Méthode".)
Nous allons vers une situation où les mathématiciens n'auront plus le monopole des mathématiques, mais où économistes, managers et marchands feront tous des mathématiques comme Monsieur Jourdain faisait de la prose.
La théorie des probabilités, toutes les études du hasard au cours de ce siècle, sont peut-être une réponse à cette question-là : que dire d'un phénomène vu uniquement de l'extérieur ?
Nous sommes aujourd'hui exactement dans la position des gens qui ont découvert le microscope de Leeuwenhoek à la fin du XVIIe siècle. Mettez une goutte d'eau dans le microscope : vous observerez des tas de choses dont vous n'aviez pas idée. Utilisez votre ordinateur: vous réaliserez des calculs que vous ne pouviez pas faire avec du papier et un crayon et vous observerez là aussi un tas de choses dont vous n'aviez pas idée !
[...]
[L'ordinateur] est un instrument d'exploration.