Citations sur Journal Himalayen (12)
3. « La nuit de l'Inde du Sud n'est pas la nuit de la Roumanie, elle n'est pas la nuit des montagnes, elle n'est pas la nuit de l'Italie. Entre elle et celles-ci s'étend l'Arabie. Ici, la contemplation du ciel induit inévitablement des questions et des recueillements étranges. La nuit a partout et toujours été un signe de mystère. Mais il y a une nuit des poètes latins, une nuit des romanciers français, une nuit de Novalis. On pourrait tenter une classification selon le compagnon que nous impose la nuit : Dieu, la femme, l'âme. Voilà pourquoi les poètes et les penseurs de l'Inde nous paraissent tellement singuliers – ils sont restés trop longtemps seuls avec eux-mêmes. » (p. 161)
1. « Il ne pleuvait plus, mais à présent ce n'était pas la pluie qui nous terrifiait. J'entendais un étrange bruit sourd, un bruissement. Comme les pas d'un cortège d'ombres sur un tapis de mousse. Mon Dieu, qu'est-ce que ça signifiait ? "Ah ! sherpa, sherpa !..."
Et alors, j'ai compris leur peur. Nous étions descendus trop bas, sur le chemin des sangsues. Et les sangsues avançaient en colonnes serrées, par milliers, par dizaines de milliers.
Je ne les voyais pas. J'entendais seulement leur reptation visqueuse, je distinguais seulement un tremblement de feuilles.
Celui qui a dit que le tigre ou le cobra était l'animal le plus redoutable de la jungle, celui-là ne l'a pas connue au début de la mousson. Ces bêtes compatissantes vous tuent d'un seul coup. Tandis que les sangsues... Elles s'approchent – et on ne peut pas s'enfuir. On les voit – et on ne peut pas les frapper. Si l'on prend peur on est perdu. Car l'homme effrayé se sauve dans la vallée. Or, dans la vallée, l'agonie est longue, et la fin exsangue. » (p. 46)
On arrive à Dieu par toute voie, me dit un swami, mais la voie la plus simple est aussi la plus sûre. L'ignorant a inventé "la difficulté de trouver Dieu". Pourquoi aurais-je du mal à le trouver, alors qu'il est en moi, alors qu'il est dans mon âme?
Ainsi parle le swami...
C'est bien une image de l'Inde que ce passage du luxe et de la splendeur à l'humilité et à l'insignifiance. Une image incomparable de cette contrée toujours entrain de se débattre entre des extrêmes, entre l'or et la lèpre.
La liberté des ermites ne porte pas seulement sur les pratiques religieuses, mais aussi sur leur conduite personnelle. Chacun peut faire ce qu'il veut, prie quand il lui plaît et respecte les croyances de quiconque. Nul ne manifeste cette attitude définitive de l'Occidental, qui croit être le seul à avoir trouvé le vrai Dieu et pense que tout autre est un hérétique. Nul ne cherche à convertir.
Les missionnaires sont en effet les seuls Européens à monter en interclass, à s'intéresser aux Indiens, à leurs traditions et à leur philosophie, à devenir familiers et, bien entendu, à tenter de les convertir à tout prix.
Ce n'est pas l'Europe, superbe et immortelle réalité, qui me répugne, mais le prosélytisme stupide des Européens.
C'est énoncer une vérité banale que de rappeler que les Anglais veulent, sous toutes les latitudes, se sentir at home.
Des sensations tactiles inhabituelles me réveillent. J'attrape une des bestioles qui me courent dessus et, dans l'obscurité, je comprends que ce sont des scorpions. Envahi par les scorpions ... Peut-être pas très nombreux, mais suffisamment en tout cas pour m'épouvanter. Sauter du lit, crier, allumer la veilleuse, cela ne réglerait rien. Car, aussi vite que je fasse, un au moins aurait le temps de me piquer. Alors, je suis le conseil de l'un de mes maîtres : "Si des bêtes dangereuses s'approchent, ordonne-leur de s'enfuir." Et, comme je devais m'y attendre, les scorpions se retirent l'un après l'autre. (Les lecteurs instruits sont priés de se scandaliser devant pareille superstition.)
2. « Je ne prétends pas que l'Inde soit un pays parfait, aérien et vertueux. L'Inde est un continent malheureux, misérable, mixte, accablé par l'histoire et non reconnu par les historiens (c'est pourquoi je me rends si souvent en Europe). Mais j'ai pitié de sa gloire et de son génie, que ne cessent de transmettre, vivaces, depuis des millénaires, la tradition et les œuvres. » (Rabindranath Tagore, cit. pp. 113-114)