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Critique de Titine75


L'intrigue débute à Leubronn en Allemagne en 1874. Une jeune femme, Gwendolen Harleth, joue à la roulette sous le regard sévère d'un jeune homme. Gwendolen, agacée par le poids de ce jugement muet, se met à jouer tout son argent et malheureusement le perd. Cette malchance au jeu lui sera très préjudiciable puisque Gwendolen apprendra peu après que sa famille est ruinée. le jeune homme qui l'observe dans la salle de jeux est Daniel Deronda. Il est à Leubronn avec “son oncle”, Sir Hugo Mallinger. Ce gentleman a élevé Daniel mais ce dernier ne connaît pas l'identité de ses parents. Cette question ne semble pas perturber outre mesure le cours de sa vie. Mais après avoir sauvé de la noyade une jeune juive nommée Mirah, le destin de notre héros va être chamboulé. le frère de Mirah, Mordecai, va obliger Daniel Deronda à s'interroger sur ses origines.

Daniel Deronda” est un roman à la fois classique et innovant. Ces deux qualités s'incarnent dans les deux jeunes femmes qui partagent la destinée de Daniel. Gwendolen personnifie le côté classique et anglais. Elle appartient à la bourgeoisie et s'élève socialement par son mariage avec Henleigh Grancourt Mallinger, le neveu de Sir Hugo. Gwendolen a toujours été gâtée: “Et la nouveauté qu'elle avait connue en passant deux années dans une école très en vue où, à chaque occasion qui se présentait de la mettre en avant, on lui avait donné le premier rang, n'avait fait que confirmer en elle le sentiment qu'une personne aussi exceptionnelle qu'elle-même ne pouvait certainement pas rester dans un cadre ordinaire ou dans une situation sociale rien moins que privilégiée.” Lorsque sa famille est ruinée par de mauvais placements, Gwendolen a la possibilité de devenir gouvernante mais cela lui semble être une humiliation. le mariage avec un gentleman paraît être le seul moyen de conserver un train de vie luxueux. Elle ne se rend pas compte qu'elle sacrifie là sa liberté. Gwendolen rongée par la culpabilité, devra évoluer durant tout le roman allant jusqu'à un questionnement freudien sur l'intention et l'acte. Cette jeune femme est mon personnage favori du roman, tour à tour passionnée et désespérée, Gwendolen est extrêmement touchante.

Face à la blonde Gwendolen, on trouve la brune Mirah, celle à qui la vie n'a pas fait de cadeau et dont l'humilité va bouleverser Daniel. Elle va également permettre au héros de découvrir un monde qui lui était inconnu : celui de la pensée et de la religion juives. le frère de Mirah est un sage, un penseur et il veut transmettre ses idées. C'est dans cette partie que George Eliot innove. Les deux personnages juifs sont extrêmement positifs contrairement aux stéréotypes habituels de l'époque. On peut penser notamment au Fagin de Charles Dickens dans “Oliver Twist” qui cumule les archétypes. La pensée de Mordecai est très en avance, il prône un retour des juifs en Palestine et la création d'un état. le sionisme ne sera théorisé qu'une vingtaine d'années plus tard. George Eliot a beaucoup étudié la culture juive et a su capter les désirs profonds de ce peuple.

Daniel Deronda a un pied dans chaque monde, il passe d'un univers à l'autre et soutient à tour de rôle les deux jeunes femmes. C'est un personnage entièrement tourné vers les autres. Mirah l'exprime ainsi : “Mais M. Hans a dit hier que vous pensiez tellement aux autres, que vous n'aviez besoin de rien pour vous-même.” L'ignorance de ses origines semble le vouer à l'écoute de l'autre, à l'entraide et il s'oublie totalement. Au début du roman, Daniel n'a aucune prétention, aucune ambition, ne sachant d'où il vient il ne sait où aller. le roman de George Eliot est l'histoire de son évolution, de son éducation. C'est un personnage d'une ouverture d'esprit étonnante.

La construction de l'intrigue est extraordinaire et très subtile. George Eliot manie avec brio les retours en arrière permettant d'éclairer les vies de ses personnages. Après la rencontre entre Daniel et Gwendolen à Leubronn, George Eliot s'attarde sur son personnage féminin et on reste pendant 230 pages sans nouvelle du héros éponyme du roman ! D'ailleurs cette rencontre classique est une fausse-piste et ne laisse pas présager de la suite de l'intrigue. le premier tome de “Daniel Deronda” est vraiment exceptionnel, éblouissant d'inventivité. Jai été un peu déçue par le deuxième tome où le destin de Daniel semble tout tracé. J'aurais aimé plus de doute, plus de suspens au détour des pages.

Malgré cette dernière petite réserve, j'ai adoré la lecture de ce roman profond et passionnant. L'analyse poussée des personnages m'a fait penser au “Portrait de femme” de Henry James et la préface de Alain Jumeau a confirmé mon impression. le jeune Henry venait en effet chez George Eliot y recueillir des conseils. Grand bien lui en a pris car leurs ambitions littéraires sont très proches et on ne peut que se sentir élevé par de telles oeuvres.
Lien : http://plaisirsacultiver.unb..
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