Citations sur Black-Out - Demain il sera trop tard (91)
La masse a besoin de faire l'expérience d'une menace existentielle. Ce n'est qu'une fois qu'elle n'a plus rien d'autre à perdre que sa vie qu'elle est prête à se battre pour une existence meilleure.
Et ensuite, lentement, très lentement, il y en aurait un qui comprendrait, puis d'autres ensuite, que le temps des histoires était passé, parce que l'histoire même était en train de s'écrire autrement.
- Oui, et nous ne pouvons nous en prendre qu'à nous-mêmes ; par le passé, on a écarté ces dangers, on les a pris pour les élucubrations d'oiseaux de mauvais augure. Les responsables n'ont été conscients du réel caractère explosif de la chose que depuis quelques années. Et c'est une question de coûts. La sécurité a un prix.
- Comme on peut le voir, ça coûte encore plus cher de ne pas payer.
Malgré le temps, Liscasse ne portait qu’un uniforme bleu. Son képi rappelait à Shannon le général de Gaulle et elle se rappela que les pompiers de Paris étaient une unité militaire sous tutelle du ministère de l’Intérieur.
« Je n’ai pas d’informations à ce sujet pour l’instant. Dans tout Paris et ses environs, tous les hommes disponibles ont été déployés, plusieurs milliers. Nous disposons, après New York, de la plus importante force de sapeurs-pompiers du monde. La population de Paris peut se sentir en sécurité malgré les événements. En ce moment, nous faisons en sorte de libérer les personnes prises au piège dans le métro et les ascenseurs. En outre, il y a eu de nombreux accidents de la circulation et, de manière isolée, des départs de feu.
« Coupure de courant », lui expliqua le chauffeur à travers la vitre à demi fermée.
L’homme en salopette à l’une des pompes lui adressa la même réponse.
« Donc, on ne peut plus faire le plein ? demanda-
t-elle.
– Les pompes fonctionnent à l’électricité. Sans courant, impossible de faire remonter l’essence depuis les cuves.
– Et vous n’avez pas de circuit de secours ?
– Nope. Désolé
Depuis la libéralisation du marché de l’électricité, il y a quelques années, les missions sont devenues de plus en plus importantes, et, simultanément, de plus en plus complexes. Aujourd’hui, l’électricité traverse presque toute l’Europe, depuis l’endroit où elle est produite jusqu’à celui où elle est consommée. Donner et prendre en permanence. Mais cet équilibre, précisément, venait de s’effondrer dans plusieurs parties de l’Europe. C’est ce que redoutait Pewalski.
« C’est encore pire qu’en 2006 », soupira un second dispatcher.
Brauweiler
« La Suède, la Norvège et la Finlande au nord, l’Italie et la Suisse au sud sont tombées, expliquait l’opérateur derrière lequel se tenait Jochen Pewalski. Y compris des parties des États voisins comme le Danemark, la France, l’Autriche, également la Slovénie, la Croatie et la Serbie. E.ON signale quelques pannes, Vattenfall et EnBW sont totalement dans l’orange. Les Français, les Polonais, les Tchèques et les Hongrois aussi. Plus quelques taches sur les îles Britanniques. »
Écolier déjà, Oberstätter avait appris que le barrage d’Ybbs-Persenbeug, construit dans les années 1920, était l’un des premiers et des plus imposants barrages autrichiens sur le Danube. Entre Ybbs et Persenbeug, en Basse-Autriche, le mur du barrage, long de 460 mètres, retient le fleuve sur une longueur de 430 kilomètres, et sur une profondeur pouvant atteindre jusqu’à onze mètres – cela, il ne l’avait appris qu’après avoir commencé à travailler ici, voilà neuf ans. Depuis, il contrôlait et entretenait les géants rouges comme s’il s’agissait de ses propres enfants.
Il écouta une fois encore. En neuf ans, on apprend à connaître ses machines. C’était un bruit qu’il ne parvenait pas à s’expliquer tout à fait.
Des kilomètres de câbles rubanés tourbillonnent dans chacun de ces aimants d’une tonne, à la vitesse de plusieurs centaines de rotations par minute. Actionnés par des arbres d’acier de la largeur d’un tronc, ils sont reliés à la turbine Kaplan au-dessous d’eux. Un champ magnétique naît alors et induit une tension électrique dans les stators. Ainsi l’énergie électrique est produite par l’énergie mécanique. Malgré ses études de génie mécanique, Oberstätter n’avait jamais tout à fait compris ce miracle ; il est la source de l’énergie qui rend possible la vie moderne, grâce à des lignes à haute tension, des postes de transformation et des lignes électriques de moindre tension, jusqu’à la cabane la plus reculée du pays. Dès lors que se tarit cette source, c’est le monde extérieur qui s’engourdit.
Herwig Oberstätter leva les yeux de l’armoire de commande pour écouter encore une fois. Bien au-dessus de lui s’étendait le plafond de la centrale hydroélectrique, haut comme une cathédrale d’acier et de béton, abritant une vaste salle vibrant du grondement des générateurs.
Depuis l’étroite passerelle métallique qui courait à mi-hauteur de la salle dans la partie sud de la centrale, il regarda les trois générateurs rouges. Leurs enveloppes se suivaient les unes derrière les autres, des cylindres de la taille de maisons, qui ne constituaient pourtant que la partie visible de la construction globale. Extérieurement, ils avaient l’air de géants massifs, impassibles – pourtant Oberstätter pouvait ressentir toute l’énergie qui se déchaînait dans leurs entrailles.