Étourdi, il leva les yeux et tenta de s’orienter. L’un de ses phares éclairait les flocons de neige qui dansaient sur l’asphalte sombre et mouillée. Un pan de son capot avait été arraché. Quelques mètres plus loin, devant lui, les feux arrière du camion.
L’Alfa s’arrêta, dans un ultime soubresaut. À quelques millimètres du pare-chocs de l’autre voiture. Manzano fut plaqué dans son siège. La route était plongée dans une nuit noire, les feux tricolores, encore verts l’instant d’avant, s’étaient éteints ; ils n’étaient plus qu’une trace dans la rétine de Manzano. Tout autour de lui, un bruit infernal de klaxons et de tôles froissées. Sur sa gauche arrivaient à toute allure les phares d’un camion. Là où, à l’instant, se trouvait la voiture vert pâle, filait déjà un mur bleu dans une gerbe d’étincelles. Un choc puissant projeta la tête de l’Italien contre la vitre latérale, sa voiture se mit à tourner comme une toupie jusqu’à être stoppée par un autre choc.
Cet instant resta en suspens ; de manière surprenante, Manzano pensa à du chocolat, à la douche qu’il comptait prendre une fois chez lui, dans vingt minutes, au verre de vin qui suivrait, sur le canapé, ainsi qu’à un rendez-vous avec Carla ou Paula au cours du prochain week-end.
Milan
Piero Manzano donna un brusque et énergique coup de volant tandis que le capot de son Alfa glissait inexorablement en direction de la voiture vert pâle qui le précédait. Il arc-bouta ses deux bras sur le volant, croyant déjà entendre le bruit désagréable de deux carrosseries qui se télescopent. Freins, pneus qui crissent, dans le rétroviseur les phares des autos derrière lui, le choc imminent.
Arrêter maintenant, ce serait rendre les armes. Redonner aux autres leur pouvoir. Cette communauté, possédée par l’argent et la force, par l’ordre et la productivité, l’efficacité, par la consommation, les loisirs, l’exaltation de l’individu, sa propension à tout ramener à elle. Pour laquelle l’être humain ne compte pas, seule la maximisation des profits. Pour laquelle la société n’est qu’un facteur de coûts. L’environnement une ressource.
"Et les seniors? Ils ne savent même pas se servir correctement de leurs téléphones portables ou de leurs ordinateurs. On veut demander à ces gens de gérer leur consommation électrique par téléphone mobile ou par ordinateur? Seuls quelques ingénieurs trouvent ça génial! Pour le reste de l'humanité, c'est un cauchemar."
Les riches deviennent plus riches, les pauvres plus pauvres. La jeunesse actuelle est aussi conservatrice, apolitique et lâche que ses arrière-grands-parents. On détruit l'environnement comme jamais.
"Et qu'en est-il du prince charmant ? demanda-t-il
- Pas encore trouvé" répondit-elle, et elle but une gorgée de vin. Ses yeux le fixaient insolemment par dessus le rebord du verre.
Et c'est aussi une question de coûts. La sécurité n'a pas de prix.
- Comme on peut le voir, ça coûte encore plus cher de ne pas payer.
— Pourquoi les gens n'ont-ils pas été mis au courant ?
— Les autorités redoutent de créer une panique.
— Mais les gens ont le droit de savoir !
— C'est ce que disent toujours les journalistes pour légitimer leur travail.