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Critique de Philochard


Hé bé, pauvre sot, quelle lecture t'es-tu infligée là… Que ce fut éprouvant ! Une sorte de « L'Orient pour les nuls »… pour leur faire bien comprendre qu'ils resteront profanes à jamais. Que j'ai pourtant aimé les volutes d'opium des premières lignes ! - pensant qu'elles me feraient franchir les portes d'un pays de merveilles. Ah envoûtant Orient, extase magnifique, les plus grands t'ont raconté, chanté, loué ! Ils m'attendent ! J'ai donc tenu à aller au bout des rêveries d'insomniaque de ce Franz Ritter, en m'auto-suggérant à chaque page, même la plus pédante et indigeste parmi des dizaines d'autres, également indigestes et pédantes, que ce voyage oriental et savant pouvait apporter une belle surprise, à n'importe quel moment, y compris celui où l'on désespère vraiment de pouvoir rêver ne serait-ce qu'un chouïa. de fait, la patience a parfois payé : il y eut de belles découvertes, un peu magiques même, dans cet immense fatras des mille et une cuistreries.
Page 27, la lassitude est déjà bien installée, et on sent que la traversée du désert va être longue-longue-longuette, qu'il soit saharien, arabique ou gobique. Franz, plongé dans ses souvenirs, énumère encore et toujours des connaissances – qui sont les siennes autant que celles de l'auteur -, précises, cliniques. le ton docte est celui d'un professeur d'université, pas d'un paumé amoureux d'art à la lisière de la mort. Lui nous aurait intéressé. On décroche souvent. On suit des yeux des noms de livres, de thèses, d'oeuvres d'art, d'artistes… dispersion… Où est le nord ? Heureux les érudits qui peuvent pisser de la ligne rien qu'avec leurs références culturelles. L'inventaire « costaud » et foutraque concerne la musique, l'histoire, l'architecture, la peinture, et Dieu sait que tout ça pourrait [devrait] captiver, mais l'auteur se regarde écrire des choses intelligentes vite inintelligibles. Un amas confus, abscons. Cher monsieur, autant ne rien nous dire si vous ne voulez pas partager…
Certes, on trouve çà et là des réflexions pertinentes, mais le fil hésite entre romance avec la sublime intellectuelle Sarah et des extraits de revues spécialisées dans la musicologie ou l'art baroque. L'étalage en devient puéril. On se dit alors que cette bête de Goncourt est à l'opposé des romans du génial Umberto Eco chez qui l'érudition est gourmande et généreuse.
Cette « Boussole » m'est apparue comme une entreprise littéraire 'totalisante', dont l'objectif serait d'englober tout le savoir et tout l'imaginaire sur l'Orient, sa magie, son essence. Lawrence d'Arabie, Liszt, les combattants marocains en 14-18, les poètes persans, les maîtresses de Flaubert... rien ne doit échapper à l'auteur ! Celui-ci a choisi, dans une obsession peut-être très occidentale, de chosifier ainsi, d'opter pour la complétude. le bouquin pourrait dès lors au moins présenter une commodité encyclopédique et offrir, comme certains ouvrages d'Alberto Manguel, une ouverture vers d'autres lectures. Mais ce pavé bourratif ressemble à une gigantesque bibliothèque pas ou mal rangée dont on souhaiterait lire chaque ouvrage, et on maudit le bibliothécaire qui semble avoir pris plaisir à ne pas classer et ne transmet rien. Ceux qui comprennent en savent autant que lui et le félicite de refléter leur égo magnifique. Les autres sont laissés à leur insuffisance. Voilà tout ce que vous ne saurez jamais. Merci. de toute façon, « il n'y a que des insomniaques pour écouter Die Ö 1 Klassikracht dans leur cuisine. Schumann ». Et bing.
Bref, ce livre-contenant contient bien tout le contenu. L'Orient est saisi, empaqueté. Mais le nigaud pauvre mortel que je suis se dit in petto que pour humer de son mystère - car nom d'un djinn et bon sang de bois il y a forcément un mystère de l'Orient ! -, l'évocation d'un poème De Nerval ou quelques phrases de Loti picorées dans Aziyadé auraient peut-être suffi.

Bon, soyons honnête : l'auteur montre un peu d'humilité lorsqu'il concède qu' « il y aurait une apostille à rajouter à mon ouvrage, une coda, voire un codicille ». Faites donc, monsieur.
Il faut d'autant moins accabler ce livre-fleuve qu'il laisse des traces (une traversée de désert, ça laisse forcément des traces). L'écriture se fait parfois belle, agrémentée de vraies idées d'auteur, telle la lumière bleutée de l'ordinateur dans la nuit, comparée à une oeuvre de Paul Klee ; ce sont ces petits miracles qu'on aimerait savourer, ces idées simples, assez magiques et pas moins profondes que le savoir universitaire étalé de page en page. Des passages captent l'attention, des récits dans le récit qui se seraient suffi tant ils peuvent être lus comme des ouvrages quasi-indépendants. J'ai ainsi apprécié la confession avinée – enfin, pas vraiment avinée puisque arrosée précisément de vodka arménienne – de l'orientaliste Gilbert de Morgan, éconduit spirituellement par la superbe Azra, dans l'Iran révolutionnaire. Une mise en abîme du narrateur qui relit de vieux écrits ; une nouvelle à part entière ; une oasis salvatrice dans l'étendue du roman . La justesse du propos sur l'Iran s'y révèle digne d'intérêt, avant de s'éparpiller de nouveau et de se noyer dans des considérations savantes.
Voilà, c'était l'aveu d'un ignare déboussolé... mais pas découragé devant ses rêves d'Orient.
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