J`ai longtemps vécu dans un village du sud de la France, où vivait également ma bibliothèque. En déménageant en Argentine, j`ai dû la démonter et elle vit actuellement dans les limbes d`un dépôt de Montréal. Pendant ce processus, j`ai écrit ce livre, qui se présente comme une élégie à ma bibliothèque perdue, et dans lequel je parle de choses variées, de la perte, du désir, des rêves - pas seulement de livres - même si j`évoque beaucoup mes dictionnaires.
Comme Directeur de la Bibliothèque Nationale d`Argentine, même si je ne vis pas tellement en Argentine, je vis dans une bibliothèque et je peux dire que c`est le meilleur endroit pour un lecteur. La bibliothèque doit retrouver son rôle fondamental dans la société, cet espace de découverte a été supplanté par les institutions financières et la consommation facile. La bibliothèque doit être la mémoire et le miroir de la société qui l`héberge.
Un des rayons que je préfère dans la bibliothèque que j`ai dû abandonner accueillait les dictionnaires ; et pour ceux qui aimaient lire - je parle de ma génération - le dictionnaire était un talisman aux pouvoirs mystérieux, car nos aînés nous avaient dit qu`on y trouverait les mots qui désignaient tout ce que l`on connaît, mais aussi ce qu`il nous restait à découvrir. Le dictionnaire était le dépositaire du passé, de ces mots qu`utilisaient nos grands parents, et du futur, de ces mots qui désignaient ce qu`un jour peut être nous allions vouloir dire. Les dictionnaires confirment et renforcent l`âme d`une langue.
La littérature cannibalise les formes et les genres littéraires, on écrit des romans qui ressemblent à des guides d`horaires de trains, des poèmes qui ressemblent à des biographies, des récits qui ressemblent à des cartes géographiques et des oeuvres littéraires qui semblent être des dictionnaires, comme le Dictionnaire du diable d`Ambrose Bierce ou le Dictionnaire des idées reçues de Gustave Flaubert. Même la grande Encyclopédie des Lumières a pris la forme d`un dictionnaire pour pouvoir introduire des commentaires antireligieux et politiques qui auraient été censurés s`ils avaient été écrits d`une autre manière. La forme du dictionnaire dans la littérature a souvent servi à combattre la censure.
La lecture s`acquiert par contagion et nous ne finissons pas tous malades. Pour tout lecteur il y a un livre, même si ce lecteur et ce livre ne se rencontrent pas toujours. Si l`on continue à voir la lecture comme quelque chose de sacré ou élitiste, comme quelque chose d`étranger à notre quotidienneté ou comme une nécessité, cela restera une utopie.
Voilà pourquoi il faut voir la lecture comme un acte de rébellion, si l`on transmettait cela aux jeunes, les choses seraient différentes. Il y a dans la jeunesse une impulsion de rébellion et de curiosité que les sociétés essaient en général de réprimer et si les jeunes veulent se rebeller ou s`opposer comme individus, la meilleure manière de le faire est de s`opposer aux valeurs du troupeau, de s`opposer à ce qui est facile, rapide, de savoir que la difficulté est un trésor précieux, que la pensée l`est aussi et qu`à travers tout cela ils trouveront une force par leur propre liberté et intelligence.
Tout lecteur l`écrit à sa manière, avec ses expériences. En ce qui me concerne, elle change tous les jours et depuis que je suis Directeur de la Bibliothèque Nationale d`Argentine, elle a pris un tournant administratif auquel je ne m`attendais pas du tout.
J`ai commencé à écrire non pas pour un livre, mais quand une personne, qui comptait beaucoup dans ma vie et qui avait été fondamentale pour me faire comprendre la relation entre la lecture et la vie, a fini par trahir ses élèves et par les mener à la torture par les militaires. J`ai écrit pour comprendre.
Les contes des frères Grimm, bien qu`à ce moment j`ignorais qu`ils étaient littéraires.
Il y en a beaucoup, mais avant tout La divine Comédie de Dante
Aucun, je ne ressens pas ce type de honte.
Il y en a beaucoup, il y a un écrivain russe, Gaito Gazdanov, qui a écrit un très bon roman : le Spectre d`Alexander Wolf. Par ailleurs le Chinois Yank Lianke me semble être un des grands romanciers du XXIème siècle.
Il y en a qui sont surfaits pour moi. Mais chaque lecteur choisit les livres qu`il apprécie, je n`aime pas parler en ces termes, ce ne sont pas des jugements que nous pouvons émettre en général.
Je lis un auteur équatorien que je ne connaissais pas et qui a lancé le réalisme magique en littérature : José de la Cuadra, et son roman Los Sangurimas.
Leçon inaugurale d'Alberto Manguel prononcée le 30 septembre 2021. Alberto Manguel est professeur invité sur la chaire annuelle "L'invention de l'Europe par les langues et les cultures" (2021-2022), chaire créée en partenariat avec le ministère de la Culture (Délégation générale à la langue française et aux langues de France). Accéder à ses enseignements : https://www.college-de-france.fr/site/alberto-manguel/ Au commencement, il y a le mythe. Zeus s'éprit d'Europa, la fille du roi africain Agénor, et, métamorphosé en taureau, l'emporta en Crète où elle lui donna deux fils. Agénor envoya les deux frères d'Europa à sa poursuite, leur interdisant de réapparaître chez lui sans l'avoir retrouvée. Ils ne revinrent jamais. le mythe est, au sens essentiel, un déplacement, une métaphore, une traduction, une « parole » (Barthes) qui signifie : « emporté d'un lieu à un autre ». Les mythes sont transformés, altérés, renouvelés pour correspondre aux besoins d'un temps et d'un lieu. Mais ils restent eux-mêmes pour l'essentiel, car ils ne sont pas créés en tant que fabrications de l'imagination humaine, mais (sans vouloir tomber dans un universalisme facile) comme des manifestations concrètes de certaines intuitions primordiales. Au Moyen Âge, Lactantius proposa de banaliser le mythe grec en prétendant que le taureau était simplement le nom d'un bateau. Mais le mythe perdura et en fit lever d'autres dérivés de l'histoire initiale : mythes de souveraineté (Europa, une princesse), de féminité (la bien-aimée de Zeus), de prééminence culturelle (ses frères envoyés à sa recherche) et aussi, plus mystérieusement, d'immigration et d'établissement (Europa, une résidente étrangère). le contenu de ces mythes constitue peut-être la pierre de touche qui prête aux peuples de l'Europe une identité commune intuitive. Toute définition (celle du mythe, par exemple) nécessite tant une limitation qu'une invention. Une limitation de ce que nous croyons que l'objet de la définition n'est pas, et une invention de ce que nous imaginons susceptible de constituer quelque chose que nous connaissons déjà, puisque nous ne pouvons définir ce que nous n'avons pas encore imaginé. le mythe d'Europa reflète cette double nécessité. Découvrez toutes les ressources du Collège de France : https://www.college-de-france.fr Suivez-nous sur : Facebook : https://www.facebook.com/College.de.F... Instagram : https://www.instagram.com/collegedefr... Twitter : https://twitter.com/cdf1530
Comment se nomme l’enfant que rencontre le narrateur ?