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Critique de Colchik


1988, l'été est là et les grandes vacances sont proches pour Antone Bazil Coutts, Joe selon son choix, le fils unique du juge tribal Coutts et de Geraldine Coutts, chargée des demandes d'enregistrement tribal sur la réserve indienne du Dakota du Nord où vit la famille. Joe est un adolescent heureux qui partage son temps entre ses amis – Cappy Lafournais, Zack Peace et Angus Kashpaw – et sa famille : son oncle Whitey qui tient une station-service avec la pulpeuse Sonja, sa tante Clemence et son mari Edward, le grand-père Mooshum et la grand-mère Initia Thunder
La mère de Joe revient un soir, couverte de bleus et d'ecchymoses, la robe poisseuse de sang et imprégnée d'essence. Elle a été violée à la maison-ronde, un lieu de rassemblement pour certains rites tribaux, et a échappé à la mort en fuyant l'homme qui voulait la brûler vive. Pourtant, elle refuse de dire qui est l'auteur de ce crime odieux malgré les supplications de tous. Il faut alors pour le juge Coutts remonter dans le passé, celui des relations troubles entre les Blancs et les Indiens, pour faire émerger la figure troublante de Linda WishKob, née Linda Lark, bébé difforme adoptée par des Chippewas, les habitants de la réserve. Il faut aussi pour Joe trouver une explication à cette poupée bourrée de dollars qu'il a trouvée au fond du lac. Enfin, il faudra à Geraldine suffisamment de courage pour raconter ce qu'il s'est passé dans la maison-ronde le jour où elle a été agressée, elle qui connaît tous les secrets de la réserve et ceux des naissances inavouables.
Louise Erdrich parvient remarquablement à nous décrire les sentiments de Joe, la perte de l'innocence enfantine devant le drame qui s'abat sur sa famille, la peur et la colère qui peu à peu envahissent son esprit. Au sein de la bande de copains, les jeux des garçons, leurs discussions sur leurs héros familiers, la transgression des premiers interdits, tout cet univers encore saisi dans la fraîcheur de l'enfance se disloque dans la confrontation à la violence des adultes. Chacun sent le poids qui pèse sur les épaules de Joe s'abattre aussi sur les siennes sans pouvoir atténuer le chagrin de Joe. Dans le silence du vent est aussi l'histoire d'une amitié indéfectible, celle qui unit Cap et Joe dans la vie et dans la mort par une fraternité indéfectible.
L'auteur restitue à merveille ce temps élastique dans lequel vivent les adolescents, les après-midi qui s'étirent indéfiniment quand on traîne d'un lieu à l'autre sans véritable occupation, la frénésie qui accompagne les courses à vélo, les nuits terrifiantes quand les cauchemars rôdent, puis le sommeil brutal, profond, réparateur qui saisit l'âme et le corps fourbus.
Enfin, la culture indienne baigne tout le livre, au travers des rêves du grand-père Mooshum, des pow-wow, des cérémonies de purification, du rapport entre les générations, de la médecine ojibwé et des fantômes. Mais le drame de l'histoire se noue également dans les règles juridiques obscures qui gouvernent les rapports entre les Blancs et les Indiens, règles qui aboutissent parfois à un déni de justice. Lentement, l'admiration de Joe pour le travail de son père s'est muée en déception – que pèse un petit juge tribal face à la justice des Blancs ? – avant de se transformer en désespoir face à l'absurdité des lois. Seule, la vengeance personnelle pourra remettre les choses à leur place, raisonnement d'un enfant. Sur ce chemin périlleux, Cap ne peut laisser seul son ami, allant assumer plus que sa part de la punition infligée au meurtrier.
Louise Erdrich nous offre un roman magnifique où chaque personnage possède une force expressive étonnante, dans la tragédie comme dans l'humour, tout en baignant son intrigue d'une poésie mélancolique et poignante. Un roman d'initiation qui trouve sa place aux côtés de celui de Harper Lee, Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur.
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