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Critique de HundredDreams


C'était mon premier rendez-vous avec Louise Erdrich. Elle fait partie de ces auteurs que je m'étais promise de lire un jour. C'est aujourd'hui chose faite et je ne regrette qu'une chose, c'est de ne pas avoir lu ses livres avant.
J'ai été très sensible à son univers, à son écriture, à son récit intimiste, aux émotions qu'elle transmet simplement à ses lecteurs. Elle donne vie à des personnages justes, réalistes et très touchants.

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En choisissant comme point de départ de ce roman le viol particulièrement brutal d'une Amérindienne, Louise Erdrich pose un regard sur le problème des crimes sexuels dans les réserves indiennes des États-Unis. On apprend beaucoup sur la juridiction des zones, les lois qui permettent à des hommes de commettre des atrocités sans jamais être inquiétés ni punis.

« Nous voulons le droit de poursuivre les criminels de toutes races sur toutes les terres comprises dans nos limites originelles. »

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En lisant l'incipit, j'y ai vu une sorte de miroir, un reflet du récit à venir.

« Des petits arbres avaient attaqué les fondations de notre maison. Ce n'étaient que de jeunes plants piqués d'une ou deux feuilles raides et saines. Les tiges avaient tout de même réussi à s'insinuer dans de menues fissures parcourant les bardeaux bruns qui recouvraient les parpaings. Elles avaient poussé dans le mur invisible et il était difficile de les extirper. »

Lorsqu'un roman commence ainsi, un père et son fils arrachant les racines d'arbres poussant dans les soubassements de leur maison, cette image forte et très visuelle ne peut que nous faire espérer tenir entre les mains, un magnifique roman, riche en émotions. Cet espoir s'est vu confirmer au fil de ma lecture : le récit est certes poignant, dur, mais il y a des éclats de beauté inattendus, une force poétique dans le récit, dans les mots qui frappent et les émotions qui étreignent.

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L'autrice, dès les premières lignes, nous plonge dans une atmosphère étouffante, oppressante. Cette impression tenace et douloureuse paraît figer le temps.
La famille Coutts avait toute pour être heureuse jusqu'au jour où, par un doux dimanche de printemps 1988, le drame les frappe durement et leur vie bascule : Géraldine, la mère de Joe, est violemment agressée et violée dans la réserve Ojibwée.

Les cicatrices les plus visibles guérissent avec le temps, mais le viol laisse un profond traumatisme psychologique sur Géraldine qui s'isole des siens et se réfugie dans la solitude rassurante de sa chambre.

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Avec justesse et sensibilité, Louise Erdrich se glisse dans la peau du jeune adolescent. C'est à travers ses yeux que l'on embrasse le violent bouleversement de son monde. Et l'on voit comment ce crime terrible va bouleverser et transformer sa famille à jamais.
Chacun à leur manière essaie de reprendre pied : Géraldine, autrefois souriante et maternelle, se recroqueville dans la peur et la claustration tandis que le père et le fils tentent d'obtenir réparation et justice en recherchant eux-mêmes le coupable.

Le récit s'approprie différents genres, tout en soignant le fond comme la forme. Ainsi, si l'histoire prend l'allure d'un roman policier ou d'un thriller, Louise Erdrich visite le roman initiatique, tout en nous invitant à pénétrer dans la spiritisme de la culture amérindienne.
Le récit devient très vite prenant, l'autrice disséminant avec subtilité les indices tout au long du récit pour nous faire entrevoir la vérité.

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« de tout mon être, je voulais revenir au temps d'avant tout ce qui était arrivé. Je voulais rentrer dans notre cuisine qui sentait bon, m'asseoir à la table de ma mère avant qu'elle ne m'ait frappé et avant que mon père n'ait oublié mon existence. »

Le monde de Louise Erdrich est tragique, violent, fragile, injuste mais il est également tendre et émouvant. Si la tragédie et la recherche de justice sont au centre de l'intrigue, Louise Erdrich dresse le portrait vibrant d'une famille qui apprend à se reconstruire sur des fondations fragilisées. Les personnages sont superbement bien observés et décrits. Elle les dénude, nous laissant entendre leur peur, leur colère, leur culpabilité, leurs regrets.

« Je me suis allongé par terre, j'ai laissé la peur me recouvrir, et essayé de continuer à respirer pendant qu'elle me secouait comme un chien secoue un rat. »

J'ai aimé la façon dont le père et le fils, si démunis et perdus au départ, vont aider Géraldine à se relever, à reprendre goût à la vie. C'est beau, sincère, émouvant, bouleversant.

« Quand la pluie tiède tombe en juin, a affirmé mon père, et que le lilas s'épanouit. Là, elle descendra. Elle adore le parfum du lilas. Un vieux bosquet d'arbustes planté par le délégué agricole de la réserve fleurissait contre l'extrémité sud du jardin. Ma mère a raté sa splendeur. Les faces frêles de ses pensées ont resplendi et puis les églantiers dans les fossés se sont parés d'un rose naïf. Elle les a ratés aussi. Maman avait semé ses fleurs à massif chaque année, d'aussi loin que je m'en souvienne. Elle disposait ses bacs en briques de lait sur le plan de travail de la cuisine et sur les appuis de toutes les fenêtres orientées au sud, en avril – mais les jeunes plants de pensées étaient les seuls qui avaient survécu pour être repiqués dehors. Après cette semaine, nous avions oublié de nous occuper de tous les autres. Nous avions trouvé les tiges grêles desséchées et craquantes. Papa avait jeté les plants et la terre au fond du jardin et brûlé les fonds de briques de lait avec les ordures, détruisant ainsi les traces de notre négligence. »

Ce que j'ai aussi particulièrement aimé, ce sont les liens familiaux et communautaires très forts, qui vont se resserrer autour de la famille Coutts. C'est toute une dynamique d'entraide, de solidarité, d'amitiés qui va se créer pour les aider, sans voyeurisme ni curiosité malsaine. Ce roman dégage beaucoup d'humanité, de sensibilité et de générosité.

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Tout le talent de conteuse de Louise Erdrich s'exprime dans sa façon d'entremêler l'histoire familiale à des thématiques très fortes autour de la famille et de la communauté, de la culture et des traditions indiennes, de la vie dans les réserves.
Le monde évoqué par Louise Erdrich baigne dans une atmosphère de réalisme magique fortement enraciné dans les légendes et les croyances, les rituels et le monde des esprits, le pouvoir des animaux totem, ...

Mais elle réveille nos consciences sur la réalité vécue par les Amérindiens d'aujourd'hui, entre tradition et modernité, coutumes et impact de la culture américaine, spiritualité et catholicisme, identité autochtone et assimilation forcée.
En effet, l'autrice innerve son roman de problématiques liées à la pauvreté, l'alcoolisme, la drogue, l'exclusion et au racisme. Elle soulève des questions graves concernant l'injustice et la privation des droits des groupes minoritaires.

Mais, même si la trame est sombre, on ne tombe jamais dans le sordide ou dans le pathos.
Le ton est toujours juste, sans grandiloquence, sans colère, rendant le récit réaliste et émouvant. Plusieurs scènes sont particulièrement touchantes, l'autrice maîtrisant parfaitement la force émotionnelle, en particulier dans le premier et le dernier chapitre.
Le récit à hauteur d'enfant amène également des moments plus légers, plus doux.

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L'écriture de Louise Erdrich est magnifique de simplicité, de délicatesse, de pudeur et de retenue. C'est de cette manière qu'elle m'a vraiment touchée.
De façon très inattendue mais opportune, l'humour s'invite dans ce récit, permettant au lecteur de reprendre son souffle lorsque les émotions envahissent l'esprit.

Les dernières pages surprennent, si brutales et si obsédantes, comme un coup de poignard dans le dos.

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Pour conclure, « Dans le silence du vent » est un magnifique roman d'une grande richesse psychologique. Il a la beauté et le piquant de la rose. Les souvenirs douloureux et tristes émaillent le texte parfois traversé d'instants de paix, de légèreté et de douceur.

J'ai été séduite par l'univers de Louise Erdrich, par son écriture poétique et acérée, par ses personnages attachants, par leur histoire émouvante. Ce livre m'a donné envie de découvrir les autres romans de l'autrice et en particulier « LaRose » et « La malédiction des colombes » dans lesquels on retrouve plusieurs personnages de ce récit.

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Je remercie Chrystèle (@ HordeDuContrevent) et Nicola (@Nicolak) pour cette magnifique lecture partagée. Nous ne connaissions pas les livres de Louise Erdrich, mais nous avons toutes été captivées par ce récit et sensibles aux messages de l'autrice.
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