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Critique de Nastasia-B


Les Choéphores, titre qui désigne dans la Grèce ancienne les porteuses de libations en vue de rendre les hommages funéraires et honorifiques dus aux morts, est désormais la pièce médiane des trois tragédies de l'Orestie d'Eschyle. On désigne par Orestie les pièces dont l'histoire d'Oreste est le pivot central, même lorsque celui qui sera appelé à résoudre (à sa façon) le déséquilibre moral de la famille royale des Atrides en Argolide (dans le Péloponnèse) n'aura pas encore l'âge ou ne sera pas encore passé à l'acte.

À l'origine, l'Orestie n'était pas constituée de trois mais de quatre pièces dont la quatrième s'est perdue (ou plus exactement a été volontairement perdue au second siècle de notre ère à l'époque de l'empereur romain Hadrien, sous prétexte de satisfaire au canon des pédagogues grammairiens). Les Choéphores constituait à l'époque le second volet de la tétralogie.

L'épisode évoqué dans cette pièce est le plus traité, et donc le mieux connu, de toute la tragédie grecque puisque tant Sophocle qu'Euripide nous ont livré leur propre version des mêmes événements. Il est très probable que beaucoup d'autres passages mythologiques étaient traités pareillement par les trois principaux tragédiens grecs qui nous sont parvenus (et également aussi par beaucoup d'autres qui ont été purement et simplement évincés par nos amis les grammairiens romains) mais ne se retrouvent désormais que chez l'un ou l'autre tragédien, plus rarement deux.

Chronologiquement, Eschyle est le plus ancien des trois grands tragédiens grecs et ça se voit beaucoup. Ses pièces sont encore très archaïques avec une écriture sèche et un rapport au divin, à la morale et à l'édification civique très développé. Ça sent vraiment trop à mes narines le théâtre d'État comme aux plus belles heures de l'U.R.S.S.

Pourtant, c'est dur de traiter Eschyle de cette façon, car c'est à lui qu'on doit presque tout, c'est lui qui révolutionne le théâtre, c'est lui qui innove à tout crin, c'est lui qui en fait un spectacle d'une noblesse inouïe pour l'époque. Mais, comme l'a constaté Voltaire de façon générale avec les réalisations humaines, il s'agit d'un premier stade de développement, qui, comparativement aux avancées qui s'appuieront dessus, nous apparaît un peu pauvre avec un regard actuel.

Il n'y a pas beaucoup chez Eschyle de ces magnifiques formules littéraires qui nous réjouissent l'âme à 2500 ans de distance comme chez Sophocle, il n'y a pas beaucoup non plus de cette substance digne de nous porter à philosopher comme chez Euripide. Eschyle, c'est très brut, âpre, sans fioriture. Chez Eschyle il y a une message clair, civique et religieux, que l'on martèle (comme Charles) dans la tête du spectateur tellement fort que deux jours après il en a encore le crâne qui vibre...

Voilà pourquoi la note générale, pour un lecteur d'aujourd'hui ne monte pas bien haut, même si je reste persuadée que, à la façon d'un Edgar Poe pour la SF ou le polar, Eschyle est un rouage essentiel à tout ce que l'on connaît aujourd'hui en matière de théâtre.

Ici, les choéphores sont bien sûr Électre, la fille du roi Agamemnon, (lâchement assassiné par sa femme Clytemnestre et surtout son amant, Égisthe) et sa suite. Et c'est justement en allant rendre les hommages sur la tombe de l'ancien roi qu'Électre remarque d'étranges offrandes que seul un proche du défunt monarque peut avoir déposées.

Il est désormais passé de mode de témoigner un quelconque respect à la dépouille d'Agamemnon, le seul qui puisse encore en éprouver ne saurait être un autre que son fils, Oreste, envoyé naguère en exil pour échapper à la dague de sa mère et de son beau-père.

Si c'est bien Oreste qui est de retour, alors Électre est très contente, elle qui ronge son frein depuis des années, car cela signifierait que l'heure de la vengeance a sonné et qu'Égisthe et Clytemnestre ont du soucis à se faire. Mais est-ce bien Oreste ou un quelconque imposteur ? Personne ne l'a vu depuis des années et nul ne saurait le reconnaître, pas même sa bienaimée soeur.

Et quelle vengeance ? Si l'étranger est bien Oreste, ce qui n'est pas sûr, acceptera-t-il d'endosser la responsabilité d'une vengeance ? Voudra-t-il trucider sa mère pour laver l'honneur de son père ? Bref, Oreste ou pas Oreste, il serait temps de passer à l'action, — mais quelle action ? — car choisir c'est renoncer comme disait quelqu'un...

Le message, un brin simplet, de cette pièce semble être d'ordre civique : que vous voyez rois ou simples mortels, ne commettez ni crimes ni injustices car les dieux voient tout et finiront par vous envoyer un châtiment exemplaire, sous une forme ou sous une autre. Ce message est évidemment destiné ici à Clytemnestre et Égisthe, mais il pourrait bien, à terme et dans une autre pièce, — pourquoi pas ? — être destiné à Oreste. À suivre...

En ce qui concerne les qualités ou défauts respectifs de cette pièce, je m'en voudrais d'infléchir trop votre choix par un avis trop entier, un seul petit avis, qui, à lui tout seul, ne signifie jamais grand-chose, soyez-en convaincus.
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