Elle était la brèche dans mon plan de départ, celle que je ne voulais pas désirer. Pourtant, elle est devenue mon indispensable, celle que je vais aimer comme un taré…
- Tu veux bien rapporter les tasses à la cuisine? demandé-je d'une voix qui n'attend aucun refus, sans quitter Isée un seul instant.
- Alors, ouais, mais nan, tu vas le faire comme un grand, hein ! réplique-t-il tout aussi sèchement.
- Dans cinq secondes, montre en main, je vais me jeter sur ta cousine pour l'embrasser comme un putain de toxico en manque. Donc, à moins de vouloir assister à ça, ramène ces foutues tasses dans la cuisine.
- Tu déconnes? toussote-t-il.
- Cinq. Quatre…
- Isée ?
Cette dernière ferme les yeux un instant, impuissante face à cette promesse qui nappe sa peau nue d'une brusque chair de poule, puis approuve d'un unique hochement de tête.
- Sérieux, vous êtes chelous…
Puis il se résigne à rassembler les contenants de céramique.
Je me redresse, déroule mes muscles bandés sous le regard acéré d'Isée et amorce un premier pas vers elle alors qu'Harlan enjambe sûrement le seuil de la baie vitrée derrière moi.
- Trois. Deux…
- Tu n'es qu'un abruti arrogant et complètement inconscient.
- Un. Zéro...
Je serais resté, pour elle. Juste pour elle. Pour la respirer, pour l’entendre gémir et rire. Pour la regarder dessiner. Pour l’aimer sans le lui dire. Elle serait devenue mon essentiel, ma divine obsession, la plus addictive de toutes, et j’aurais été heureux.
Elle était la brèche dans mon plan de départ, celle que je ne voulais pas désirer. Pourtant, elle est devenue mon indispensable, celle que je vais aimer comme un taré...
Isée a craqué l'allumette sur mon baril de poudre.
Comme ça, en pliant enfin, en acceptant ce qu'elle s'imagine être « l'inconcevable ». Jusqu'ici, elle n'avait fait que promener la flamme près de la mèche, mais depuis dimanche, je suis ravagé d'un besoin trop percutant, trop fiévreux pour même envisager qu'il puisse se tarir sans elle.
On pourrait croire que le temps et l’absence atténuent la force des sentiments, un peu comme ils assourdissent les douleurs… Foutaises !
Il se dit que, l’instant qui précède la fin, notre vie défile à toute allure devant nos yeux. Or, il ne se passe rien de tout ça. Je ne vois que le canon devant son faciès dégueulant d’exécration. Mais… ses yeux, eux, traduisent autre chose.
Elle était la brèche dans mon plan de départ, celle que je ne voulais pas désirer. Pourtant, elle est devenue mon indispensable, celle que je vais aimer comme un taré...
En quelques secondes, elle est devenue l'oeil du cyclone de ma vie. Sans que je n'y puisse rien. Sans que j'aie même mon mot à dire.
Toute ma vie se réajuste maintenant que je suis contre elle. Elle reprend forme à la manière d'un bâtiment en phase de démolition dont on passerait le film à l'envers. Chaque brique de mon cœur bousillé retrouve sa place...