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Citations sur Se trahir (3)

Je reste impassible, tente de masquer mon ennui. Ce jeune homme prétendument psychopathe s’avère absolument commun, un peu pervers et mégalo certes, mais ni plus ni moins que le multirécidiviste lambda.
Le délinquant parti, je m’accorde quelques soupirs râleurs. Les surveillants m’y invitent : ce sont les premiers à se moquer dans les couloirs, l’insulte à peine voilée, la maltraitance aux aguets. Je m’en méfie, évite de me prêter à ce jeu malsain, préfère jouer les timides, en taisant tout jugement à l’emporte-pièce. Ma réserve m’éloigne de leurs sarcasmes, elle me place du côté de la science, je suis Hermiane la psychologue, je me dois de rester invisible.
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Je vous le dis : on se voile la face. Depuis des décennies, loin des villes et de leurs flux incessants, à l’orée des dernières résidences pavillonnaires, la société a créé un trou noir dans l’espace-temps urbanistique en plaçant quelques-uns dans une situation maximale d’immobilité pour une durée déterminée. On se plaît à imaginer qu’ici, en rase campagne, s’agglutinent les détenus comme des rats au fond d’un trou, que bientôt ils perdront l’usage de leurs incisives à force de paralysie, sidérés par la peur et l’obscurité. On a du mal à se figurer que la prison fonctionne à l’inverse, que c’est dans le chaos perpétuel qu’elle enferme les gens : trocs, deals, changements de cellules, visites, hospitalisations, transferts, entrées, sorties, tout est négociable ici, tout peut s’échanger, à l’instar des produits illicites, qui vont et viennent, se vendent et s’achètent, drogue dans le cul, du parloir aux détenus, des détenus aux surveillants, des surveillants aux dealers, des dealers aux détenus, ou alors, sont envoyés directement de la rue au-dessus des grillages de la cour, passent dans la poche d’un agent, puis transitent par les cuisines, sur les chariots, ou carrément par les fenêtres, sous la forme de sachets pendouillant au bout d’un fil qu’on appelle « yoyo » car on les fait valser, le long des murs, au vu et au su des miradors. Bien sûr, la répression règne, elle bloque des accès, en autorise d’autres, contrôle les entrées, surveille les sorties, réglemente les passages, ralentit la cadence, un par un, deux par deux, attendez votre tour, en file indienne, finalement non, revenez demain. Mais au fond, elle épouse la vie des cellules : délinquants, pédophiles, trafiquants, criminels, chauffards, arnaqueurs, récidivistes s’agglomèrent et prolifèrent. La répression n’y fera rien, enlevez une tumeur, elle revient aussitôt. L’administration le sait. Aussi se plie-t-elle à leurs manières, en mégotant sur les peines, en rabotant les séjours, en fermant les yeux sur la haine, en négociant les retours. L’objectif est que ça usine là-dedans : violences, transactions, délits, produits, rapports, signalements ; peu importe si la colère y résonne, si la folie contagionne, et que le business prospère, il faut que cela vive, partout, tout le temps, comme si vivre et faire vivre pouvaient conjurer le pire, le suicide et la mort.
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Faciès entre parenthèses, un peu à l’étroit, les pommettes hautes et les joues droites, un menton qui file vers le bas, légèrement prognathe, et des cheveux bruns très courts ramenés sur le front. Un portrait accessoire, comme quelque chose que l’on utiliserait machinalement tous les jours. J’en prends soin, certes, mais passe vite dessus : khôl sur chaque paupière et puis basta. J’aime penser qu’en eux-mêmes mes traits sont neutres, que je suis capable d’en gommer le sens, a contrario de ceux des autres, que j’ai appris à déchiffrer sous l’épaisseur des discours. Mon visage ne doit rien laisser deviner, mes paroles ne doivent pouvoir y être arrimées d’une quelconque manière, seule compte l’attitude du patient dont le moindre geste trahit, pour qui sait le lire, le signe d’une pathologie cachée.
Ainsi invisible, je gère mes entretiens en respectant le protocole obséquieux du dépistage des risques psychosociaux en milieu fermé : toujours commencer par inviter poliment le mineur à décrire rapidement sa structure familiale, y déceler de petits traumas à peine refoulés, comme en rapportent souvent les enfants, afin de glisser subrepticement vers la confession d’éventuelles périodes prolongées d’angoisse ou de tristesse, voire d’épisodes délirants ou de conduites à risque (consommation excessive et régulière de psychotropes, fatigue, déprimes passagères, tentatives de suicide, etc.). Sans effraction, et avec son consentement, je dérobe ainsi sous ses yeux quelques morceaux choisis de son intimité que j’utilise pour évaluer la capacité du délinquant à revenir sur son acte et à prendre du recul sur celui-ci.
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