Coup de coeur ❤️
« Même les pires délinquants renoncent à se tatouer la face. le visage est la clé de ton existence et tu le sais. Il faut que tu saches t'en servir, que tu assumes et puisses te regarder dans un miroir sans sourciller. C'est ainsi que tu trouveras ta place dans la société, et aussi, un job. »
Dans un monde dystopique où le visage seul donne droit à l'existence, à l'intérieur de cette société où les « soldats de l'optique » veillent à « l'ordre scopique », une femme, remodelée, visage et sexe, pour retrouver un emploi et une vie sociale normalisée, va rentrer en dissidence.
Son corps, scanné, observé, évalué, devient un espace chaotique dans lequel elle va tenter de trouver sa liberté intime.
Chair médicalisée, boursouflée, couturée, la peau s'étale sur ce corps dans lequel cette femme se sent étrangère.
Il y a pourtant beaucoup de poésie dans cette errance charnelle : la langue d'Espedite, inventive et créatrice, se fait le reflet des hallucinations visuelles à travers lesquelles son personnage voit désormais les visages et les espaces qui l'environnent.
Elle traverse ainsi une sorte de « bad trip », dans lequel les faciès perdent leurs contour, liberté ultime et indécente d'une femme révulsée par sa nouvelle corporéité.
« Tu prends sur toi, ingurgites ton énième verre d'un geste furtif et te diriges vers les autres. Tu les aperçois à peine. Scalpés de leur faciès, les corps perdent face. (…) Tu es perdue au milieu de la jungle. Sur le qui-vive, à l'affût du moindre détail pouvant t'indiquer à qui tu t'exposes, tu fouines, tu rumines, tu évolues à pas de loup, tu fourrages, tu fougères, tu fauves, épies prédatrice, traques et peines à découvrir les silhouettes tapies dans le décor ».
Ecrit à la deuxième personne, le récit, par ce choix de conjugaison, place le lecteur dans une position de voyeur : la forme de ce bref roman l'oblige à observer, à scruter la rébellion nauséeuse, embrumée et incontrôlable de cette chair iconoclaste et le mène parfois au bord du malaise.
Visage redessiné au scalpel, fardé sous le voile. Voilé aussi le miroir aux reflets démoniaques, corps corrompu par sa propre chair, colonie dévastée par le bistouri qu'il faut reconquérir à coups de sourires falsifiés décochés au psychologue ou à la conseillère de Pôle Emploi.
C'est notre identité profonde et notre liberté ontologique qui sont mises en jeu dans ce texte dans lequel surnage cependant, plus forte que tout, la fantaisie d'être soi.
Ainsi la rencontre entre cette femme au regard diffracté et cet aveugle masqué derrière ses lunettes noires, rapprochement valsé de deux insolences pirates.
« Tu mets un moment à prendre la mesure de la révélation : un aveugle te fait face. Tu te sens d'abord stupide, mais peu à peu la découverte te transporte. Tu te résous à relever la tête et à ne rien censurer de tes visions. Ainsi ta vue fouille-t-elle son visage. (…) L'abîme de ses césures lumineuses rédime ton regard, tu vertiges dans sa peau vaseuse, te pores dans ses lignes inchoatives. de joie tes mains trouvent les siennes. Il n'osait l'espérer. »
Dans une langue ciselée, en perpétuelle métamorphose, créant une chorégraphie de mots devenus verbes au gré de son inventivité libérée, Espedite dessine les contours et la chair de ce que l'on appelle « prendre corps ».
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