Il m'a rappelé que la langue était le premier repère et le premier repos pour un être en voyage, ou pour l'être en général.
La langue des ancêtres, ses modulations, son rythme, nous habitent encore.
Une langue est plus sûre qu'une maison.
Rien ne peut la détruire tant qu'un être la parle.
p 166
L'accueil de l'étranger n'est pas une charité mais un échange. Il nous ouvre un monde dont nous n'avons pas idée. Il démultiplie nos points de vue, enrichit nos perceptions. Nous en tirons bénéfices. L'accueil, l'hospitalité, l'entraide, la solidarité, la fraternité, l'humanisme, peu importe comment on appelle ce geste ou ce mouvement de l'âme, peu importe qu'il procède d'une éthique, d'une croyance ou d'un heureux caractère, peu importe qu'il soit un engagement ou un passe-temps, plus nous serons nombreux à l'expérimenter, plus les barrières tomberont, plus les politiques s'infléchiront.
Mais raconter un évènement traumatique, ce n'est pas seulement de décrire, c'est aussi le revivre. Le plus cruel est d'en ressentir de la honte. Honte d'avoir subi des sévices, honte aussi d'être parti, d'avoir abandonné sa famille, de n'être plus rien, de quémander un refuge. Honte enfin de ne pas être reconnu dans sa souffrance quand on est débouté.
- Dans cinq ans, je ne sais pas ce que je vais faire...
- Même pas en rêve ?
- Je n'ai pas de rêve.
- Tout le monde a des rêves...
- Mon rêve est secret.
- Il est trop grand pour être dit ?
- Oui, il est très grand.
Je suis parti parce que je ne veux pas être esclave dans mon pays.
J'y vais parce que je reçois plus que je donne.
Je suis comme vous, je n’ai pas choisi ceux qui m’ont donné le jour, je n’ai pas choisi la terre qui m’a vue naître, je n’ai pas choisi la langue qui m’a été transmise. Seul le hasard fait que je ne les ai pas perdus. Vous, vous avez dû vous arracher à tout : à la mère et au père qui vous ont désigné, au sol où vous avez appris à parler, aux mots qui vous ont forgés. Vous n’êtes pas seulement privés de votre identité et de votre pays. Vous êtes privés du pouvoir de dire, coupés de votre « langue maternelle », « parentale », « natale », « première », peu importe comment on l’appelle, le résultat est le même. Il vous faut en faire le deuil et en apprendre une nouvelle, pas seulement des mots et une syntaxe mais aussi la manière dont ils organisent les choses et les êtres. Vous devez naître une deuxième fois.
Peut on demander à ceux qui ont côtoyé la mort de chanter ce genre de comptine?
Ils chantent pourtant.
Il y a de la joie pendant quelques instants. les muscles se déverrouillent.
Les corps se redressent.
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Les choses se feront et si elles ne se font pas, d'autres arriveront.