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Critique de JustAWord


Après le scandale provoqué par la publication de la langue d'Altmann, l'américain Brian Evenson reste dans le collimateur de l'Église mormone.
Quatre plus tard sort Père des mensonges, premier roman de l'auteur et première incursion dans la forme longue avec une histoire aux confins de la folie, de l'horreur et de la religion.
C'est encore une fois les éditions du Cherche-Midi à travers l'excellente collection Lot 49 qui se charge des réjouissances…

Notre père
Eldon Fochs a des problèmes. Des problèmes particulièrement embarrassants pour un doyen de l'Église Sanguiste (une parente fantasmée de l'église des saints des derniers jours) qui doit à la fois veiller sur sa congrégation et sur sa propre famille. Pour s'en sortir, Eldon décide de consulter un psychothérapeute, Alexandre Fishtig, également croyant.
Tout débute par un échange de lettres entre Alexandre Fishtig et ses supérieurs hiérarchiques au sein de l'Église. le cas d'Eldon Fochs inquiète en haut lieu et une pression de plus en plus grande s'exerce sur Fishtig pour avoir accès à ses notes professionnelles (et censément confidentielles).
Brian Evenson n'invite pas le lecteur de plein pied dans l'histoire et dans la tête d'Eldon Fochs mais par un regard extérieur et analytique, celui de Fishtig qui présente son patient à travers diverses notes où l'homme d'église lui raconte des choses terribles.
Des rêves, des pensées bruyantes.
Des paroles pendant son sommeil.
Des actes de violence inexplicables.
Dans ses rêves, Eldon a des pensées déplacées à propos des enfants.
Des pensées sinistres entre le viol et le meurtre, entre la torture et l'obsession maladive.
En demande d'aide, le doyen devient le sujet d'analyse d'un psychothérapeute plus intelligent et plus droit qu'il n'y paraît de prime abord.
Mais peut-on encore aider Eldon avant que le pire n'arrive ?
Père des mensonges (d'après l'évangile de Saint Jean), c'est le diable, le grand tentateur. Brian Evenson nous en dit beaucoup avant de revenir visiter son dossier médical par l'intermédiaire du patient lui-même, Eldon Fochs.
Et lorsque l'on pénètre dans l'esprit du doyen, l'horreur se déploie sans aucune limite. Car il est déjà bien trop tard pour l'aider, il a toujours été trop tard.

Dualité psychopathique
Père des Mensonges vous donne une fausse piste avant de démonter les hypothèses pour mieux vous révéler l'horreur dans son plus simple appareil. Eldon Fochs, esprit malade, brisé, putride, se joue des autres. Il est, en un sens, le premier père des mensonges du récit. Brian Evenson use de la figure du double, à la fois sur le plan psychiatrique mais aussi sur le plan humain.
Son roman fourmille de doubles représentations : Elden Fochs, père de famille respectable et doyen intègre devient ainsi un monstre brutal et psychopathe qui ne recule devant rien, Alexandre Feshtig se débat lui de son côté entre son rôle de psychothérapeute et celui de membre d'une Église corrompue par la loi du silence. Et puis, par-dessus l'épaule de Fochs, on assiste au combat entre le Diable (sous l'apparence de Tête Sanglante) et de Dieu (sous l'apparence d'un médecin). Comme si deux êtres se disputaient l'âme du doyen.
Brian Evenson adopte un double point de vue, celui du médecin et celui du prédateur. Celui du croyant et celui qui se trouve confronté au réel.
Terrifiant, le parcours mental de Fochs devient une peinture sinistre d'un être qui, bien plus jeune, était prédestiné à devenir un monstre. Par les sévices endurés par son père, religieux lui aussi, et par les tortures qu'il a déjà exercé sur d'autres, humains ou animaux.
Au coeur de cette histoire, le mensonge, la capacité du doyen à donner le change à la société et aux autorités. Une capacité qui le conduit dans les hautes sphères du pouvoir religieux et lui permet de commettre les choses les plus horribles.

Démembrement d'une Église
Cette fois, l'obsession pour la violence et pour le sang de Brian Evenson s'incarne également de façon plus politique.
Critique ouverte d'une religion qui broie ses adeptes et refusent de voir les démons en son sein, Père des mensonges étrille l'Église et ses rouages.
L'obéissance, motif central de la réflexion de Brian Evenson, devient un poison diabolique, une façon de détourner le regard pour ne pas voir.
Et lorsque l'on est acculé, il faut mettre tout ça sous le tapis.
Dans ce premier roman, l'américain s'interroge sur les limites de la foi elle-même, où le simple fait de croire demande une absence de critique et conduit à l'absence pourtant salutaire de la remise en question de l'ordre divin, ou supposé divin. Eldon Fochs utilise les écrits à sa façon, tord les paroles de Dieu pour en faire l'instrument d'une oppression psychologique absolue.
C'est aussi une façon de disséquer les rouages d'une communauté où la femme n'a pas de nom. Elle est femme, enfant, victime. Mais elle n'existe pas vraiment, elle se fond dans le décor et devient un animal, une prédatrice retorse ou un simple objet de la ménagerie familiale.
Ainsi, même l'horreur est double : celle du parcours sanglant d'un psychopathe et celle d'un système religieux capable de cacher sciemment des monstres à la justice.
Grâce à son style minimaliste, Evenson jongle entre l'horreur brutale/frontale et le non-dit, le vide qui reste à combler par l'esprit du lecteur.
Le résultat, c'est un uppercut au plexus de 200 pages. Un uppercut qui laisse des traces et des hématomes dans l'âme et sur la peau du lecteur pris au piège.

Bien avant Grâce à Dieu (2019) ou Spotlight (2015), Brian Evenson dénonce une Église au coeur vérolé où l'enfant devient la proie d'un monstre habillé avec les habits de Dieu. Terrible, brillant, impitoyable.
Lien : https://justaword.fr/p%C3%A8..
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