On sait bien que les peines et les souffrances transforment les regards, et les joies aussi. C'est la marque des humains.
L'Histoire cède la place à leur histoire, à leur vie de gosses qui s'empare de tout à l'instant. Je les regarde et le milicien a enlevé son béret, il a une tête comme tout le monde, il rit, ils parlent tous les deux, la cour, les bêtises, les parents, les filles, les sourires de Jean-Mi sont authentiques, pleins de bouts d'enfance. Mais voilà, le souvenir de leur ancien camarade David, juif, sort Jean-Michel de la conversation heureuse. Petit à petit des enfants à l'étoile jaune surgissent dans la cour de l'école Victor-Hugo. Le monde présent revient. Ses sourires se font plus difficiles, difficiles parce que le poids des tourments empêche les lèvres de monter. L'Histoire s'impose.
Cette guerre il n'était pas question qu'on passe à côté sans rien faire, on pouvait toujours prendre une décision, agir, mourir ou non, mais quand on doit combattre une maladie on ne peut rien, on est englouti par l'impuissance, toutes les armes qu'on a font long feu et fondent dans nos mains. Toute une armée ne peut rien alors il faut juste compter sur la chance.
La vie, enfin la sienne, c'est plein d'objets ordinaires avec, partout, un passé qui lui rit au nez.
On dit que dans mon regard il y a l'habitude de la douleur qui a renforcé ma volonté.
Prenez un raté, un "petit" homme que la société pousse sur les bords, un mec à la traîne, qui n'a pas les moyens de réussir quoi que ce soit, frustré, tout aigri, et là vous avez un possible tortionnaire. Pas tous, bien sûr, on est d'accord.
Mais attention, évidemment il ne se sent pas responsable de son ratage, ce sont les autres qui le privent de la gloire qu'il mérite. On le spolie et en plus il est moche, dedans, le complexe le fait suffoquer. Il y a des moments précis où un raté d'envergure peut monter enfin monter non, on le prend et on le met en haut, on lui donne un pouvoir et ça commence.
Les illusions ne facilitent pas toujours la vie, parfois c'est le contraire, elles nous bloquent, elles s'acharnent à nous pourrir le temps, histoire d'avoir l'illusion d'exister.
La saison est magnifique, tout autour il y a de la beauté que les yeux embelissent en la désirant plus que d'habitude.
Parfois des choses incongrues se fraient un chemin dans notre monde, enfin incongrues ce ne serait pas le cas en temps de paix, mais là si. Ces choses elles surgissent dans nos vies sans qu'on s'y attende, elles donnent une couleur étrange et pourtant familière à la grisaille des regards fatigués.
Les choses ne sont que des choses, c'est le seul moyen de vivre un instant alors je lis un livre, je rêvasse un peu, accoudé à la fenêtre, je laisse mes yeux glisser sur les passants.
Mais un jour, un petit matin, les choses cessent de n'être que des choses.