On ne sait pas trop pourquoi, mais on le sentait tous les deux qu'on était faits pour être des amis intimes et non des amants qui finiront un jour par se séparer. On ne voulait pas de cette séparation, on voulait une éternité pour nous.
Je sais que ma volonté d'en découdre avec l'ennemi grossit ce portrait, mais bon, on sait que les peines et les souffrances transforment les regards, et les joies aussi. C'est la nature des humains.
La morale villageoise, c'est un sens interdit pour la vie.
Après la guerre jamais je n'ai pu vivre dans un village... ils te regardent, médisent, analysent par tous les sens, où que tu sois, où que tu passes ils son là, au moins un, planqué bien sûr, dont la bouche minable est reliée à toutes les oreilles qui s'ennuient à mourir, l'ennui insurmontable s'il n'y a pas quelqu'un à tuer à coup de chuchotements.
Si ce n'était pas mon père je lui en collerais une en plein dans les dents, dents que je ne vois jamais d'ailleurs, personne ne les voit parce qu'il les garde précieusement sous ses lèvres pincées pour ne pas faire croire aux résistants qu'il rit et aux Boches qu'il se fout d'eux.
J'entends un meuble qui s'affale au sol, une injure "salope", parce que en plus il l'insulte copieusement, il la recouvre de mots sales pour la noyer dedans, qu'elle étouffe sous les tonnes de dégueulasseries qui sortent de sa bouche. Mon père, c'est des chiottes de verbes. J'aurais voulu avoir quatre ans de plus et lui coller une volée.
[...] ça l'énerve encore plus parce que la souffrance qu'il veut infliger ne trouve aucun support. Sur nous elle meurt avant même de nous toucher, avant même que la gifle n'arrive on est déjà immunisés contre sa violence qui lui revient en pleine gueule et le balafre à coups de frustration.