Le courage qui lui avait permis d’assurer à sa mère, avec bravade, qu’elle pouvait faire le trajet toute seule, s’était envolé. Elle n’avait plus qu’une envie à présent, faire demi-tour, rentrer au cottage en courant et s’agenouiller auprès de sa mère qui préparerait le soda bread dans une poêle, au-dessus du grand feu de tourbe.
Son Pa l'appelait toujours par son véritable prénom, Roisin, et ajoutait "Dubh". Avec sa prononciation, cela donnait "Ro-sheen Dove", "Rosaleen la Noire" en irlandais, comme il le lui avait expliqué, et aussi qu'on appelait également l'Irlande ainsi. Elle avait toujours aimé qu'il l'appelle comme cela. Avec ses cheveux noirs et ses yeux noisette, si foncés qu'ils paraissaient parfois marron, ce nom lui allait bien.
Malgré tout, une petite voix lui murmurait souvent qu'il n'était pas fait pour elle, qu'il était hors de sa portée. Mais elle la faisait taire immédiatement, quitte à se boucher les oreilles. Sinon, ses rêves ne se réaliseraient jamais.
Petit à petit, Victoria lui fit tout raconter, comme on déroulait une pelote de fil. Au début, il s'en tenait à des généralités. L'Anglais Oliver Cromwell et ses hommes avaient chassé les Irlandais de leurs terres. Le code pénal leur déniait le droit d'être propriétaires, de voter et de recevoir une éducation. De plus, les propriétaires affamaient la population. Dans le comté de Mayo, celui qui avait le lus souffert, près d'un million de personnes étaient mortes. Beaucoup de ceux qui n'étaient pas mort au bout d'une route avaient succombé sur les bateaux cercueils en chemin pour l'Amérique. Après les années de famine, la population irlandaise avait diminué de moitié.
Elle soupire. Ils étaient des âmes sœurs, pris entre le devoir et la liberté. Malgré tout, une petite voix lui murmurait souvent qu’il n’était pas fait pour elle, qu’il était hors de sa portée.