Lady Ennis se sentit faiblir, comme si tout avait soudain déserté ses poumons. Elle agrippa une console et s'assit. Qu'est-ce qui n'allait pas chez eux? S'excuser ? Auprès d'une servante ? Le monde marchait sur la tête.
Elle entendait les voix de sa sœur et de sa mère en bas et regarda par la petite fenêtre. Même la lune, cachée derrière les nuages, lui refusait sa compagnie. Elle était seule.
Par sa rapidité et sa dureté,la punition infligée par le gouvernement anglais changeait en martyrs les jeunes rêveurs et poètes du lundi de Pâques.
Elle ne serait plus une victime.Elle ne laisserait plus l'aristocratie lui faire des cadeaux pour les lui retirer.
A la maison ,Ma ne cessait de lui répéter quelle chance c'était de recevoir la même éducation qu'une aristocrate.
Plus tard, de la fenêtre de sa chambre, Victoria regarda Rosie traverser les grandes pelouses en direction des grilles du domaine. Son amie n'avait pas son habituelle démarche assurée. Elle courbait les épaules et baissait la tête. Victoria essaya de se mettre à sa place, mais jamais elle ne pourrait comprendre ce que signifiait être la fille d'un paysan propulsée dans le monde de la noblesse, puis abandonnée. Ses yeux s'emplirent de larmes tandis que la silhouette de Rosie disparaissait et qu'elle prenait conscience de la responsabilité qu'elle portait dans l'infortune de son amie.
Victoria Bell regarda Rosie Killeen disparaître au loin. Elle serrait le bateau contre elle, sans prêter attention à la tache humide qui se formait sur sa robe. Pendant un moment, elle se demanda si la fille était une fée comme celles de ses livres d'histoires, mais elle espérait qu'elle était bien réelle.
Nous avons toutes les deux été prisonnières de notre classe sociale. Mais à quoi sert de ressasser le passé? Nous avons le pouvoir de changer notre avenir.
De cette demeure qui lui paraissait autrefois grandiose, elle voyait les pierres qui s’effritaient et la pelouse jaunie. Ennismore ressemblait à une vieille femme, triste et négligée, qui aurait perdu toute sa beauté.
Plus le temps passait et plus elle avait l’impression de jouer une étrange pièce de théâtre. Elle devait changer de robe plusieurs fois par jour, toujours suivre l’exemple des hommes, et surtout ne jamais exprimer d’opinion personnelle. Elle ne pouvait même pas sortir se promener sans chaperon. Était-ce vraiment cela, la vie d’une dame dans une grande maison ?