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Critique de MarcelP


"Entre le chagrin et le néant je choisis le chagrin."

Dans ce roman magnifique -l'un de ses plus beaux- William Faulkner entrelace subtilement deux longues nouvelles qu'on pourrait penser indépendantes mais dont chacune se nourrit des échos qu'elle fait jaillir dans l'autre : The Wild Palms (Les Palmiers sauvages) et The Old Man (Vieux père).

The Wild Palms : Charlotte Rittenmeyer et Harry Wilbourne s'abandonnent à un stupéfiant coup de foudre : elle quitte mari, enfants et confort bourgeois pour le suivre, lui qui n'a rien encore et déserte ses études de médecine. Sacrifiant tout à leur amour fou, ils vivotent, comptant et recomptant compulsivement les quelques dollars qu'ils parviennent à gagner dans une Amérique en crise (nous sommes en 1936) afin de savoir combien de temps il leur reste à s'aimer, s'aimer encore et toujours, sans avoir ni trop faim, ni très froid. Mais l'amour, même à l'ombre des palmiers sauvages, n'est pas plus fort que la mort... surtout cet amour plus cérébral que physique, cette "idée de l'amour" qui ne laisse jamais entrer la joie dans ce couple bancal.

The Old Man : Dix ans plus tôt, en 1927, le Mississippi sort de son lit et recouvre 6 états. Un forçat, jeune et peu futé, est missionné pour sauver des victimes d'inondations. Dans un bayou, il récupère une femme enceinte réfugiée sur un arbre mais pour voir aussitôt son bateau dériver, emporté par le Vieux père Mississippi. S'ensuit une odyssée rustique pendant laquelle nos deux naufragés croiseront des mocassins et des crocodiles, des cajuns égrotants et un mascaret dantesque avant de retourner à la case prison.

If I Forget Thee, Jerusalem : Faulkner nous le serine, la vie, pas plus que le Mississippi, n'est un long fleuve tranquille. Dans ce roman, à la fois drame sidérant et farce épique, le lecteur est viscéralement malmené, passant du chaud au froid, du sec à l'humide, du rire aux larmes. On y inflige la vie (le forçat coupe le cordon ombilical du nouveau-né à l'aide du couvercle cranté d'une boîte de conserve), et on y offre la mort (Harry avorte maladroitement Charlotte pour éviter de voir leur amour corrompu par l'habitude : "Se conformer ou mourir").

Maniant une langue plus accessible, Faulkner parvient à dire l'indicible : la descente du grand fleuve est d'une puissance inégalée, la peur de la mort qui vient d'une crudité implacable.

Le romancier scrute ses propres plaies dans ce roman du flux et du reflux (les eaux se déchaînent puis se calment, le sang coule puis s'assèche) : plutôt que de se suicider pour un chagrin, il privilégie l'écriture, son bagne personnel, ses mines de sel. Ce sont d'ailleurs des portes de pénitencier qui se referment sur chacune des deux nouvelles.

Lire "Si je t'oublie, Jérusalem", c'est choisir, bien évidemment, le chagrin ! mais aussi, assurément, le principal sujet de ma joie...

"Comment chanterions-nous les cantiques de l'Éternel Sur une terre étrangère ? Si je t'oublie, Jérusalem, Que ma droite m'oublie ! Que ma langue s'attache à mon palais, Si je ne me souviens de toi, Si je ne fais de Jérusalem le principal sujet de ma joie !" (Psaume 137)
Lien : http://lavieerrante.over-blo..
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