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Maurice Edgar Coindreau (Autre)
EAN : 9782070296729
348 pages
Gallimard (05/05/1977)
4.25/5   61 notes
Résumé :
Loin de n'être que deux nouvelles arbitrairement accolées, comme, à première vue, le lecteur pourrait le croire, les deux récits entrelacés sous le titre Les palmiers sauvages présentent une unité qui aboutit à la même conclusion : l'homme, quoi qu'il fasse, ne connaîtra jamais la liberté.
Au cruel duo de Charlotte et de Harry, jouets et prisonniers de leur amour, la nature répond par un duo non moins cruel entre un forçat et une femme victimes de la pluie et... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Profitant d'un élan de lectures de Faulkner je me suis risqué à entamer "les Palmiers sauvages". Risqué, parce qu'avec Faulkner et sa manie d'expérimenter des types de narration inédits, on n'est jamais sûr de rien.
Apparemment le titre d'origine était "Si je t'oublie, Jérusalem", un verset du psaume 137 de l'ancien testament qui parle notamment de la captivité du peuple juif à Babylone (située sur les bords de l'Euphrate) et du souvenir de la terre d'origine, pour vous donner une idée du sérieux du propos. (référence wikipédiesque, je sais, je ne me souviens pas très bien de la bible)
En gros, on est dans le champ sémantique de la parabole.
Faulkner s'amuse ici à juxtaposer deux histoires qui n'ont rien de commun en apparence: quand Harry rencontre Charlotte d'un côté, les tribulations d'un forçat sur le Mississippi de l'autre, quel est le rapport?
On sait que Faulkner est joueur (et qu'il aime boire), on peut s'attendre à un coup fourré, un discours implicite, des chausses trappes, du symbolisme, et cette petite prosodie qui vous emberlificote les neurones et vous laisse hagard, désemparé devant ce qu'on croyait être un grossier collage, un énième artifice, un exercice de style prétentieux.
Mais pas seulement! Si Faulkner se joue un peu de nous en prétendant agencer deux récits différents, distincts, auto-suffisants, c'est bien pour piquer notre curiosité, nous bousculer dans nos fauteuils de gentils lecteurs transis, et faire appel à notre fonction poétique.
Evidemment qu'il y a un rapport entre les deux histoires, sinon à quoi ça servirait toute cette mise en scène?
Alors on se prête au jeu, encore une fois, avec ce sacré William, il faut reconstruire le sens caché.
Le vieux père, " Old Man River", c'est le Mississippi, pour les habitants du coin, c'est presque l'Euphrate de la sainte bible. Dans cette histoire, le fleuve est l'élément qui impose son cours au forçat. L'homme aura beau pagayer à contre courant, de toutes ses forces, il devra se résoudre à suivre la direction des eaux mouvantes. Il y est question de soumission à un ordre impérieux, que ce soit Dieu, La Nature ou la justice des hommes, le destin du forçat est scellé d'avance.
Dans Les Palmiers sauvages, Harry Willbourne, est un homme ordinaire, passif, en voie de devenir médecin "comme papa" quand il va croiser le regard de Charlotte, sculptrice romantique, qui va trouver dans ce bourgeois en puissance le matériau malléable pour façonner le buste de l'homme idéal. Mais la figurine obtenue reste trop inerte, en deçà des ambitions de l'artiste. Harry apprend de Charlotte, mais pas assez vite. Il est lui aussi balloté par les éléments, la passion de Charlotte le malmène tel un canot pris dans un fleuve en crue.(tiens donc!)
Quand on a commencé ce petit jeu des correspondances, on en finit plus.
Alors tout devient parlant, le moindre palmier qui s'agite dans le vent, le cerf-totem qui nage devant la barque, la figurine-poupée vaudou du père la poisse, l'enfant qu'il faut sauver des eaux, celui qu'il faut empêcher de naître, le serpent, le déluge...
Tout devient sujet à interprétation, et l'on finit par se perdre dans ce maelström d'images allégoriques, cette quasi psychanalyse d'un texte qui charrie les décombres d'une antique civilisation humaine comme le Mississippi en 1927.
Pour parfaire le tout, Faulkner nous berce de son lyrisme sudiste magnifiquement interprété par Maurice Coindreau, le traducteur émérite du romancier.
Une intrigante, parfois fatigante, expérience littéraire.
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De facture originale, puisqu'il raconte deux histoires en contrepoint, ce roman est d'une approche pourtant assez facile. Ayant dû l'étudier pour le CAPES, l'étude est vite devenue agréable. J'ai néanmoins trop disserté dessus pour pouvoir le résumer correctement.
J'insisterai cependant sur la symbolique omniprésente des quatre éléments -terre air eau feu- déjà décrite par Bachelard dans « la psychanalyse du feu. » C'est aussi l'histoire du drame humain où la liberté est dangereuse et l''amour une trahison. On a l'impression de regarder une photo et son négatif. Faulkner semble faire fonctionner davantage les mythes éternels et les abstractions en faisant "agir" ses personnages qui existent plutôt dans ce qu'ils font que dans ce qu'ils sont. Rejoint-il en ce sens la philosophie existentialiste?
Un livre passionnant à relire dans la langue cette fois car j'ai commis un crime de lèse concours en n'abordant que la version française dans l'urgence, servie par l'excellente traduction de Maurice Edgar-Coindreau. J'avoue que j'ai un peu honte... mais bon.
Maintenant à l'heure où je publie cette chronique, il y a 33 ans de cela. Il y a prescription.
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Les palmiers sauvagesFaulkner

Deux histoires dramatiques indépendantes qui se côtoient.
Dans le premier drame, la Société s'efforce de pousser un homme à sa perte, dans le second elle fait tout son possible pour que son ancienne victime ne puisse retrouver un bonheur qu'il a su goûter malgré elle ; ce qui pour Faulkner d'une certaine manière revient au même, mais laisse le lecteur délibérer avec sa propre conscience.

Il est question d'amour, mais aussi de ce fléau qui est l'argent, de vices et respectabilité.

Il dommage que deux histoires viennent couper la lecture, car se sont bien deux histoires différentes.

Ce livre écrit en 1939 ne donne pas une lecture confortable et s'il a quelque peu vieilli, on y retrouve des passages qui interrogent et intéressent toujours autant et c'est pour cela que ce livre perdure et que je vous invite un jour à lire.
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Roman étudié à la fac dans le cadre du cours de Philippe Forest sur les littératures américaines.
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Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
La respectabilité. C'est elle qui est responsable de tout. J'ai compris, il y a déjà quelque temps, que c'est l'oisiveté qui engendre toutes nos vertus, nos qualités les plus supportables - contemplation, égalité d'humeur, paresse, laisser les gens tranquilles, bonne digestion mentale et physique : la sagesse de concentrer son attention sur les plaisirs de la chair - manger.évacuer, forniquer, lézarder au soleil. Il n'y a rien de mieux, rien qui puisse se comparer à cela, rien d'autre en ce monde que vivre le peu de temps qui nous est accordé, respirer, être vivant et le savoir. Oh! oui, elle m'a appris cela : elle m'a marqué aussi pour toujours - rien, rien. Mais ce n'est que tout récemment que j'ai vu avec netteté, que j'ai déduit la conclusion logique, à savoir que c'est une des vertus que nous appelons essentielles - économie, industrie, indépendance - qui engendre tous les vices - fanatisme, suffisance, ingérence, peur, et le pire de tout, respectabilité. Nous, par exemple, du fait même que, pour la première fois, nous étions solvables, que nous savions à coup sûr d'où viendraient les provisions du lendemain (ce salaud d'argent que nous avions en excès : la nuit nous restions éveillés pour chercher comment nous pourrions bien le dépenser ; au printemps nous nous serions promenés avec des prospectus de paquebots dans nos poches), j'étais devenu aussi complètement l'esclave, le cerf de la respectabilité qu'un...
- Mais pas elle, dit Mc Cord.
- Non. Mais elle est plus homme que moi ; vous l'avez dit vous-même - qu'un homme peut être esclave de l'alcool ou de l'opium. J'étais devenu le Parfait Propriétaire. Il ne me manquait plus que la sanction officielle, sous forme d'une assurance sociale dûment enregistrée en tant que père de famille. Nous habitions dans un appartement qui n'avait rien de bohème, ce n'était même pas la garçonnière des feuilles à scandale, ce n'était même pas dans le quartier de la ville où on se trouve, mais dans une section destinée à la fois par des règlements municipaux et par l'architecture aux gens mariés depuis deux ans, avec un revenu annuel dans les cinq mille dollards. Le matin, je m'éveillais au bruit des enfants qui passaient dans la rue ; au printemps, par les fenêtres ouvertes, j'aurais entendu toute la journée les cris inquiets des gouvernantes suédoises monter des allées du parc, et quand le vent aurait soufflé dans la bonne direction,j'aurais senti l'urine de bébé et l'odeur de biscuits secs. J'appelais cet appartement mon foyer ; j'avais même fini par acheter la sacrée machine à écrire - dont je m'étais passé pendant vingt-huit ans, et si facilement que je ne m'en rendais même pas compte - qui est trop lourde et incommode à porter, et dont néanmoins je n'aurais pas plus voulu me séparer que...
- Vous l'avez toujours. Je l'ai remarqué, dit McCord.
- Que ... Oui. Une grande partie de ce qu'on appelle courage n'est pas autre chose que le refus sincère de croire à la bonne chance. Sans ça, ce n'est pas du courage - que je ne voudrais ma séparer des cils de mes yeux. Je m'étais lié, pieds et poings, avec un petit ruban enduit d'encre. Chaque jour je me voyais ligoté davantage, comme un cafard dans une toile d'araignée. Chaque matin, pour que ma femme pût partir à l'heure à son travail, je lavais la cafetière et l'évier, et deux fois par semaine (et pour la même raison), j'achetais chez le même boucher l'épicerie dont nous avions besoin et les côtelettes que nous ferions cuire nous-même le dimanche ; quelque jours de plus et nous nous serions habillés et déshabillés à l'abri de nos robes de chambre en présence l'un de l'autre et nous aurions éteint les lampes avant de faire l'amour. Voilà. Ce n'est pas la vocation qui décide de nos occupations, c'est la respectabilité qui fait de nous des rebouteux et des commis, des colleurs d'affiches, des chauffeurs et des feuilletonistes." Il y avait aussi un haut-parleur dans le bar, synchronisé également. Soudain, une voix caverneuse et sortie du néant hurla délibérément une phrase où on pouvait de temps en temps distinguer le mot : "train", puis d'autre où l'esprit, deux ou trois secondes plus tard, reconnaissait des noms de villes disséminées sur tout le continent, villes vues plutôt que noms entendus, comme si l'auditeur (tellement la voix était tonitruante), suspendu dans l'espace, regardait le globe terrestre tourner lentement en projetant, en brefs éclairs, hors de son berceau de nuages les étranges et évocatrices divisions de la sphère pour les replonger ensuite dans le brouillard et dans les nuages avant que la vision et la compréhension aient eu le temps de les saisir. Il regarda de nouveau l'horloge. Il lui restait encore quatorze minutes. Quatorze minutes pour essayer de lui dire ce que j'ai déjà dit en cinq mots, pensa-t-il.
- Et remarquez bien que cela me plaisait. Je ne l'ai jamais nié. J'aimais cela. J'aimais l'argent que je gagnais. J'aimais jusqu'à la façon dont je le gagnais, ce que je faisais, comme je vous l'ai dit. Ce n'est pas à cause de cela que je me suis retenu un jour de penser : " Je veux que ma femme puisse avoir tout ce qu'il y a de mieux " , c'est pour m'être aperçu que j'avais peur, pour m'être aperçu en même temps que j'aurai toujours peur, quoi que je fasse, que j'aurai toujours peur tant qu'elle vivra ou tant que je vivrai.
- Vous avez encore peur à présent?
- Oui. Mais pas au sujet de l'argent. Salaud d'argent. Je peux en gagner autant qu'il nous en faut ; apparemment, je puis broder à l'infini sur le thème des désordre sexuels chez la femme. Ce n'est pas à ça que je pensais - ni à l'Utah non plus. C'est à nous, à l'amour si vous voulez. Parce que l'amour ne peut pas durer. Il n'y a pas de place pour lui dans notre monde actuel, pas même en Utah. Nous l'avons éliminé. Il nous a fallu longtemps, mais l'homme est plein de ressources et ses facultés d'invention sont infinies, aussi avons-nous réussi à nous débarrasser de l'amour comme nous nous sommes débarrassés du Christ. Nous avons la T.S.F. pour remplacer la voix de Dieu, et au lieu d'économiser notre monnaie émotionnelle pendant des mois, des années, afin de mériter une occasion de la dépenser tout entière en amour, nous pouvons maintenant l'éparpiller en petits sous et nous exciter devant les kiosques à journaux, deux par pâté de maisons comme les morceaux de chewing gum ou les tablettes de chocolat dans les distributeurs automatiques. Si Jésus revenait sur terre, il nous faudrait le crucifier bien vite pour nous défendre, pour justifier et préserver la civilisation que nous nous sommes efforcés de créer et de perfectionner à l'image de l'homme, création pour laquelle, pendant deux mille ans, nous avons souffert, nous sommes morts en hurlant et en sacrant de rage et d'impuissance ; si Vénus revenait, ce serait sous les traits d'un pouilleux offrant, dans les pissotières du métro, des cartes postales obscènes cachées dans le creux de sa main." McCord se tourna sur sa chaise et fit un signe, un geste unique, violent et réprimé. Le garçon apparut. McCord montra son verre. La main du garçon posa le verre plein sur la table et se retira.
- Bon, dit McCord, et après?
- J'était comme en état d'éclipse. Ça a commencé ce soir-là, à la Nouvelle-Orléans. Quand je lui ai dit que j'avais douze cent dollars, et ça a duré jusqu'au soir où elle m'a dit que le magasin voulait la garder. J'étais en dehors du temps. J'y étais encore attaché, soutenu par lui dans l'espace comme vous l'avez été depuis le jour où un non-vous s'apprêtait à devenir un vous, comme vous le serez jusqu'à ce que vienne le terme du non-vous sans lequel vous n'auriez pas pu être - c'est cela l'immortalité - supporté par lui, mais pas davantage, juste reposant sur lui, sans intermédiaire conducteur, comme le moineau que ses propres pattes, dures, mortes, non conductrices, isolent du fil électrique à haute tension, le courant du temps qui passe à travers la mémoire, qui n'existe qu'en fonction du peu de réalité (j'ai appris cela également) que nous saisissons, sans quoi le temps est une chose inexistante. Vous savez bien : Je n'étais pas. Puis : Je suis et le temps commence, rétroactif, il était et sera. J'étais donc, je ne suis plus, par suite le temps n'a jamais existé, c'est comme l'instant de la virginité, c'est exactement l'instant de la virginité, cet état, ce fait qui n'existe vraiment qu'à la minute même où on sait qu'on le perd. Si pour moi cela a duré si longtemps, c'est que j'étais trop vieux, j'avais trop attendu; vingt-sept ans, c'est beaucoup trop pour nous purger de ce dont on devrait se débarrasser à quatorze ou quinze ans, et même peut-être plus jeune - les tâtonnements hâtifs, sauvages, désordonnés de deux amateurs haletants sous les marches du perron ou, le jour, dans quelque meule de foin. Vous vous rappelez : le précipice, le précipice noir; toute l'humanité avant vous l'a franchi et a vécu, et toute l'humanité après vous le fera également, mais pour vous, cela ne signifie rien parce qu'on ne peut pas vous prévenir, vous dire ce qu'il faudrait faire pour survivre. C'est la solitude, vous comprenez. Il faut le faire dans la solitude, et la quantité de solitude que l'on peut supporter sans mourir a des limites, comme l'électricité, et pendant une ou deux secondes vous serez complètement seul, pas avant que vous fussiez ni après que vous n'êtes plus parce qu'alors vous n'êtes jamais seul; dans les deux cas vous êtes en sûreté et en compagnie dans un anonymat multiple, inextricable; dans l'un, poussière sortie de poussière, dans l'autre, grouillement de vers. Mais c'est maintenant que vous allez être seul, il le faut, vous le savez, il faut que cela soit, ainsi soit-il : vous amenez la bête que vous avez montée toute votre vie, la vielle rosse familière et bien dressée, jusqu'au bord du précipice…
- Ça y est, voilà le sacré cheval, dit McCord. Je l'attendais. Au bout de dix minutes nous ressemblons à Bit and Spur. Nous ne causons pas. Nous nous faisons mutuellement la mo
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- Ça y est, voilà le sacré cheval, dit McCord. Je l'attendais. Au bout de dix minutes nous ressemblons à Bit and Spur. Nous ne causons pas. Nous nous faisons mutuellement la morale comme deux pasteurs en tournée sur le même chemin de campagne.
- … Peut-être pensiez-vous que, le moment venu, vous pourriez tirez sur les rênes, sauver quelque chose, qui sait? Le moment venu, vous savez que c'est impossible, vous savez que vous avez toujours su que c'était impossible. Et vous n'y pouvez rien; vous êtes une seule affirmation résignée, un Oui unique surgi de la terreur où vous abandonnez espoir, volonté, tout - les ténèbres, la chute, le tonnerre de la solitude, le choc, la mort, le moment où, arrêté physiquement par l'argile pondérable, vous sentez cependant que toute votre vie jaillit de votre être, pénètre dans la matrice envahissante, immémoriale, aveugle et réceptive, la chaude fondation, fluide, aveugle - tombe-matrice ou matrice tombe - ça revient au même. Mais vous revenez; peut-être l'avez-vous toujours su, peut-être même finissez-vous vos soixante-dix ans ou quelque soit le nombre d'années qui vous sont accordées, mais éternellement, par la suite, vous saurez que vous avez perdu quelque peu, que pendant ces une ou deux secondes vous étiez présent dans l'espace et non dans le temps, que vous n'êtes pas les soixante-dix ans dont on vous avait gratifié et qu'il vous faudra un jour abandonner pour permettre d'ajuster les comptes, mais soixante-neuf ans et trois cent soixante-quatre jours, et vingt-trois heures, et cinquante-huit minutes.
- Sacré bon Dieu de bon Dieu ! dit McCord. Et tous les saints du paradis ! Si jamais j'ai le malheur d'avoir un fils, je le conduirai dans un joli bordel bien propre le jour même de ses dix ans.
- Voilà ce qui m'est arrivé, dit Wilbourne. J'avais trop attendu. Ce qui aurait été deux secondes à quatorze ou quinze ans a duré huit mois à vingt-sept. J'étais en état d'éclipse et nous avons failli toucher le fond, au bord du lac du Wisconsin, enfouis sous la neige et demi-morts de faim avec deux dollars et vingt cents de provisions pour nous deux. J'ai triomphé de cela. J'ai cru l'avoir fait. J'ai pensé m'être réveillé à temps et avoir été vainqueur; nous sommes revenus ici et je me figurais qu'on vivait comme des princes jusqu'à cette veille de Noël où elle me parla du magasin ; alors j'ai compris dans quel pétrin nous étions tombés; j'ai compris qu'avoir faim n'était rien, ça ne risquait guère que de nous tuer, mais l'autre chose, ah ça, c'était pire que la mort ou même que la séparation; c'était le mausolée de l'amour, le catafalque puant du cadavre porté entre les formes ambulantes et privées d'odorat de l'immortel insensible exigeant un peu de viande ancienne." Le haut-parleur se remit à hurler; ils se levèrent en même temps; au même instant le garçon se matérialisa et McCord le paya : "Ainsi, j'ai peur, dit Wilbourne. Si, à cette époque dont je vous parle, je n'avais pas peur, c'est que j'étais en état d'éclipse, mais maintenant je suis éveillé et je puis, Dieu merci, avoir peur. Parce que, en cette année 1938, il n'y a pas de place pour l'amour. Ils ont employé l'argent contre moi pendant que je dormais parce que c'était là mon côté vulnérable. Alors je me suis éveillé et j'ai réglé cette question d'argent et je me figurais Les avoir battus, mais voilà que je m'aperçus qu'Ils avaient employé la respectabilité contre moi et que cela était beaucoup plus difficile à battre que l'argent. Aussi suis-je invulnérable aujourd'hui aussi bien sur la question d'argent que sur celle de la respectabilité. Il faudra donc qu'Ils cherchent autre chose pour nous forcer à adopter un mode de vie humaine qui a évolué de telle sorte que l'amour y est superflu - l'adopter ou mourir" Ils passèrent sur le quai couvert, l'obscurité caverneuse où l'électricité, ignorant le jour et la nuit, continuait à brûler, parmi des panaches de fumée, vers l'aube de fer de l'hivert, où la longue file immobile des wagons-lits aux stores baissés semblait enfouie jusque' aux genoux, fixée pour toujours dans le ciment. Ils longèrent les parois mates de suie, les rangées de couchettes ronflantes jusqu'à la portière ouverte. " Ainsi, j'ai peur. Parce qu'Ils sont malins, rusés. Il faut bien qu'Ils le soient. S'Ils nous laissaient les battre, ce serait une espèce de meurtre, de vol sans restrictions. Évidemment, nous ne pouvons pas Les battre; nous sommes condamnés d'avance, c'est évident. C'est pour ça que j'ai peur. Et pas pour moi. Vous vous rappelez cette nuit au bord du lac où vous m'avez dit que j'étais une vieille femme qu'un agent de police ou un boyscout aidait à traverser la rue, et que, quand l'auto de l'ivrogne approchait, ce ne serait pas la vieille femme, ce serait…
- Mais pourquoi aller livrer cette bataille dans l'Utah, au moi de février? Et si vous ne pouvez pas gagnez, pourquoi diable aller dans l'Utah?
- Parce que…"
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Le coup retentit de nouveau, à la fois discret et impérieux, tandis que le docteur descendait, précédé par le cône de lumière de sa lampe de poche découpant devant lui l’escalier teinté en brun puis le vestibule de la même couleur fait de planches assemblées à tenons et mortaises. C’était un modeste bungalow au bord de la mer, avec un étage cependant, éclairé par des lampes à huile, ou plutôt par une lampe à huile que sa femme avait montée au premier après le dîner. Et avec cela le docteur portait une chemise de nuit, et non un pyjama, pour la même raison qu’il fumait une pipe à laquelle il ne s’était jamais habitué et savait fort bien qu’il ne s’habituerait jamais, alternant celle-ci avec le cigare que ses clients lui offraient parfois entre deux dimanches, où il fumait alors les trois cigares qu’il pensait pouvoir s’offrir, bien qu’il fût propriétaire du bungalow, de celui d’à côté et d’un autre, avec électricité et murs plâtrés, dans la petite ville à quatre milles de là. Car il avait maintenant quarante-huit ans et il avait eu seize, puis dix-huit, puis vingt ans en un temps où son père lui disait (et il le croyait) que les cigarettes et les pyjamas, c’était fait pour les gandins et les femmes.
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- Cette pluie-là va peut-être bien continuer jusqu'à ce que l'eau arrive ici, dit un autre. Tous tombèrent d'accord parce que ce qu'ils voulaient dire, la pensée vivante, tacite, qui les unissait était que, si le temps se levait, même si, les digues s'étant rompues, l'inondation envahissait le pénitencier, il faudrait néanmoins retourner travailler aux champs. Et c'était vrai. Il n'y avait en cela pas trace de paradoxe, bien qu'ils n'eussent pas pu expliquer la raison de ce qu'ils percevaient instinctivement, à savoir que la terre qu'ils cultivaient et les produits qu'ils en tiraient n'appartenaient ni à ceux qui y travaillaient ni à ceux qui, le fusil en joue, les forçaient à le faire, que, en ce qui les concernait - forçats ou gardes - ils auraient tout aussi bien planté des cailloux dans la terre et sarclé du coton et des pieds de maïs en papier mâché. Ainsi, énervés par le brusque et fol espoir, par la journée oisive et par les en-têtes du journal, ils dormaient d'un sommeil agité au bruit de la pluie sur le toi de zinc, quand, à minuit, la lumière brusque des lampes électriques et la voix des gardes les réveillèrent, et ils entendirent le ronflement des moteurs de camions.
"Amenez-vous!" hurla le surveillant. Il était tout habillé - bottes en caoutchouc et carabine, " La digue a cédé, il y a une heure, à Mound's Landing. Allez, debout ! "
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Par sa nature, par nécessité même, il est encyclopédique, tandis que l'homme civilisé se trouve confiné dans les régions infiniment petites de la spécialité. L'homme civilisé invente la philosophie de progrès pour se consoler de son abdication et de sa déchéance cependant que l'homme sauvage, époux redouté et respecté, guerrier contraint à la bravoure personnelle, poète aux heures mélancoliques où le soleil déclinant invite à chanter le passé et les ancêtres, rase de plus près la lisière de l'idéal...
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