Est-ce qu'une webcam , à force de balayer le Formica d'une cuisine, n'en vient pas au bout d'un temps à files aussi l'esprit des lieux ? Les Kamis . Ou bien les spectres qui vont et viennent dans un espace qu'on présume désert ?
Sans bouger de mon siège, je suis un ninja invisible et immatériel qui épie son domicile. Me voici ubiquiste, sans effort
La phrase idéale pour commencer une lettre à un inconnu n'existe pas. Nous ne sommes, il est vrai, pas totalement des inconnus l'un pour l'autre, bien que nous ne nous soyons vus, "réellement" qu'une seule fois, et dans des circonstances ô combien particulières. Je ne perdrai pas plus le temps en préambule, Shimura-san. Il était très important pour moi, avant toute chose, de vous exprimer ma reconnaissance pour votre retenue lors du procès. Je ne sais le dire autrement que par ce mot-là, retenue.
Un jour, il ne se passe plus rien. La corde du destin, d’avoir été trop tendu, a cassé net. Rien plus n’arrive. L’onde de choc de ta naissance est si loin désormais, oh ! si loin. C’est la vie moderne. Entre échec et réussite s’étend ton existence. Entre gel et montée de sève.
Dans le port, les grues ne chargent ni ne déchargent guère. Ailleurs, là où dans la ville de gros travaux étaient en cours, les engins de terrassement se sont figés. Ces dinosaures de l'ère industrielle sont atteints d'un mal mystérieux. On l'a dit et répété à la télévision, il a pour nom la Crise et on ignore comment le vaincre. Les banques ne prêtent plus d'argent. Certaines n'en ont plus. Qu'est-il devenu? Nul ne le sait vraiment et cela inquiète. La stupeur gagne. Dans le bac à sable où les enfants jouaient au capitalisme, on vient d'égarer la règle du jeu.
Un jour, il ne se passe plus rien.La corde du destin, d'avoir été trop tendue, a cassé net. L'onde de choc de ta naissance est si loin désormais oh ! si loin.
Une pensée la traverse, qui sonne comme parole biblique : heureux les amnésiques, car le passé est souffrance.
[p. 93 de l'édition de juillet 2011, Stock]
En dormant, auraient-ils vécu plus fort qu'éveillés ?
Dehors, le passé a commencé de jaunir. Le genre humain se racornit.
L'automne a pénétré jusque dans les âmes, cet automne. Il a ruisselé en nous. Imposé des silences où il n'y en avait pas encore.