Pourtant, je découvrais en moi une profonde angoisse qui émergeait, une séance après l'autre, sans trouver de cause précise. Une sorte de trou noir qui refusait de se laisser définir et nommer.
Cette absence d'explication me perturbait de plus en plus. "On n'en a jamais parlé, mais vous avez une histoire", m'a dit la même généraliste un jour où j'ai fondu en larmes dans son cabinet. Je n'ai pas osé répondre qu'au contraire je n'en avais aucune et que je m'en voulais d'aller si mal sans raison.
La différence dont je vous parle tient à l’absence d’une petite chose très bête que tout être humain est censé posséder : une pulsion considérée comme la chose la plus universelle et la plus banale au monde. Celle qui pousse à chercher un partenaire, à désirer la vie de couple, les relations charnelles, celle qui incite à fonder une famille. La recherche de l’âme sœur, si vous voulez. Après tout, les contes de fées de notre enfance se terminaient toujours quand les héros partaient vivre heureux et faire beaucoup d’enfants.
A tous ceux qui se cherchent,
ceux qui se sont trouvés,
ceux qui le feront un jour.
Si ce que j’étais existais, pourquoi n’avais-je jamais rien lu sur le sujet ?
Le monde niait chaque jour mon existence, mais j’étais bien là.
Et j’en avais le droit.
Parce que c’est rassurant, tout simplement, de ne pas être seul. De savoir qu’il y en a d’autres comme nous, qu’on n’est pas une bête curieuse, que ce qui nous arrive est normal, différent mais normal. L’étiquette donne le droit d’exister. Elle fournit une réponse simple à des questions complexes. Voilà ce que je suis : regardez, ça porte un nom. Regardez, il y en a d’autres comme moi.
C’est pour moi la plus grande énigme en la matière. Vivre seul est à mes yeux la chose la plus naturelle au monde et la plus grande liberté qui soit. J’y trouve une forme de paix qui ne m’est pas possible au milieu des autres et j’éprouve le besoin régulier de m’isoler pour me ressourcer. La solitude est pour moi quelque chose de nécessaire et de très beau, au point que j’ai du mal à comprendre pourquoi on l’agite comme un épouvantail, pourquoi il en est d’autres qu’elle angoisse à ce point.
C’est une révolution quand, pour la première fois, quelqu’un vous donne le droit de vous assumer.
Si ces pages devaient être lues par d’autres qui sont comme moi, d’autres qui se cherchent et n’osent pas s’avouer, j’aimerais leur dire qu’ils ne sont pas seuls.
Il y a un rapport au secret, à la parole, à la façon de se dire que ceux qui grandissent dans la norme ne connaîtront sans doute jamais. Une manière de regarder le monde depuis le bas-côté. De se voir constamment rappeler qu'il existe un modèle dominant dans lequel on ne se reconnaît pas.