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Critique de michfred


Vingt-trois jours et quatorze nouvelles.

Quatorze nouvelles avec les mêmes points communs: la ville d'Albe, la région des Langhe, et la guerre sur les collines - la guerre des partisans, badogliani et garibaldini, les bleus et les rouges, unis dans le même effort désespéré: bouter hors de leurs villages et de leurs (petites) montagnes les « repubblicani », ces fascistes qui leur ont repris, après 23 jours seulement d'occupation triomphale, la ville d'Albe et qui les traquent de colline en colline, sans répit, quand ce ne sont pas les Allemands qui les déciment en expédition punitive…

Beppe Fenoglio est un partisan, mais il parle de sa guérilla avec une lucidité âpre et critique, une ironie désenchantée, un humanisme amer qui n'a rien de ...partisan, justement.

Quatorze nouvelles, quatorze tranches de vie terribles, quatorze éclairages - intimes, cruels- sur la condition humaine, sur l'homo bellator, l'homme en guerre. Avec ses fiertés et ses peurs, ses remords et ses regrets, sa solitude profonde et sa quête naïve de fraternité, ses pulsions de mort et son instinct de vie.

Ce sont ces jeunes partisans de quinze ans qui se réveillent en fanfare et partent pour une expédition dangereuse comme on va à la fête, pleins d'insouciance avec tant de hâte qu'ils prennent les raccourcis pour aller plus vite à la catastrophe.

C'est le vieux Blister, un peu filou, un peu voleur, si sûr qu'on ne peut se passer ni de sa gouaille, ni de son expérience qu'il ne doute pas un instant de la mansuétude de ses vieux copains bien décidés à juger sévèrement sa conduite...

C'est un tout jeune étudiant pas très sûr de sa vocation tardive de guerillero qui s'est choisi un nom de guerre magnifique mais sans lendemain..

C'est un jeune prisonnier qui attend son exécution auprès d'un vieux briscard plus aguerri qui fait, à toutes brides, son éducation : celle, implacable, de la solitude et de l'indifférence du monde.

C'est ce jeune « garibaldino » , caché des Allemands qui raflent méthodiquement les bois et les collines pour tuer les derniers partisans, qui s'enferme dans un caveau sans savoir si c'est la bonne cachette ou un piège effroyable.

Ce sont aussi des silhouettes moins engagées : un usurier, un amoureux trahi, un apprenti maffieux, une mère ulcérée, une fille d'une autre époque, un candidat au suicide qui ne se réadaptent pas à la vie nouvelle, après la période sans foi ni loi de la guerre, et traînent leur nostalgie, leur désespoir, leurs remords…ou leur pistolet sans emploi…

Mais ce qui fait l'unité du recueil, plus encore que les thèmes ou la tonalité critique, c'est l'étonnante alacrité du style : non-conformiste, vif, pudique, elliptique. Incroyablement moderne.

Jamais Fenoglio ne s'abandonne à de longues introspections : il s'en tient toujours aux gestes, aux détails matériels, au factuel…et pourtant tout est dit, l'émotion est atteinte, le nerf est touché. On sourit parfois, on rit rarement mais c'est l'empathie surtout qui nous étreint le coeur, même pour les plus sombres crapules –Ettore va au travail ou Vieux Blister sont à ce titre deux nouvelles particulièrement bouleversantes.

De Beppe Fenoglio, j'avais déjà lu , il y a bien longtemps , La guerre sur les collines, que j'avais trouvé extraordinaire, rompant complètement avec les codes du « récit de guerre ». Les vingt-trois jours de la ville d'Albe est un recueil tout aussi étonnant et attachant.

Un romancier original ne fait pas forcément un bon nouvelliste – et l'inverse est également vrai : Maupassant est, pour moi du moins, un assez piètre romancier, mais ses nouvelles sont ciselées, vivantes, légères- parfaites. Fenoglio réussit la double performance d'être excellent et original dans ces deux formes, si différentes !

Plus encore : pour moi, après cette lecture, je mets Fenoglio dans le panthéon des nouvellistes de choc, avec Maupassant, bien sûr, mais aussi Kazakov, Cortàzar, Buzzati et Carson Mc Cullers. Excusez du peu !

Cet écrivain rare dont Calvino disait qu'il était l'auteur « le plus solitaire » de sa génération, romancier d'un style nouveau et nouvelliste plein de verve romanesque, vaut absolument d'être découvert- ou relu.

Je viens d'ailleurs de me racheter La guerre sur les collines – autrefois emprunté et rendu à un ami d'Albe qui y tenait comme à la prunelle de ses yeux : relire Fenoglio est presque encore plus délicieux que le découvrir, c'est un plaisir anticipé, on le savoure deux fois !

Comme Pavese, lui aussi originaire des Langhe et qui a si mal supporté d'en être séparé, Fenoglio fait revivre dans ces nouvelles et dans son roman ces petites collines surmontées d'églises ou de châteaux de brique, couvertes de bois et de vignes, le paradis des chasseurs et des maquisards…

Si cette critique ô combien …partisane, avait le mérite de vous donner l'envie de lire tout ce qu'on peut encore trouver de Fenoglio, je serais la plus heureuse des chroniqueuses !

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