Un disparu c'est quelqu'un qui n'est pas là.
Et à qui on parle.
Jana connaissait le son des herbes hautes et du vent qui leur courait dessus, déchiffrait ses voix multiples, les cordes aux sons lugubres ou les sifflements brefs des tiges raides comme des fils de fer, les gémissements du vent qui s'enflaient et mouraient entre les joncs lisses des marécages, porteur de pluie fine ou d'orage.
Leurs vêtements disparurent, envolés, leur pudeur, le passé, le futur, ce qu'ils vivraient ensemble ou non, la solitude éternelle et les mots jamais dits : ils firent l'amour en tremblant, debout, se tenant par les yeux comme s'ils pouvaient se perdre, s'encastrèrent à s'en faire mal pour conjurer la mort qui les étreignait, et jouirent ensemble, comme des démons.
Buenos Aires était née de rien, une terre de broussailles et de boue au bord d'un estuaire ouvert sur l'océan où soufflaient des vents contraires.
C'est ici que les colons avaient construit le port de commerce, la Boca, mâchoires fermées sur le continent amérindien.
La vieillesse est un naufrage, le fard était sa bouée.
Elle était là pourtant, mapuche depuis la nuit des temps, et les monstres qu'elle croyait bannir par sa seule volonté était revenus par la porte des Morts. Ils n'avaient jamais quitté terre : ils rampaient au plus juste, s'enfonçaient dans les plaies les plus fraîches, jouissant du mal ou en s'arrangeant, empreinte de l'âme humaine foulée par des dieux sans tête.
La vallée d'Uspallata taillait la cordillère dans le vif : le cœur de la roche y était jaune, rouge, gris, noir, vert, miracle de la nature escortant le défilé.
Un disparu, c'est quelqu'un qui n'est pas là, et à qui on parle.
Une boue de larmes perla à ses paupières, remontée de l'inframonde.
Elena luttait parce qu'un pays sans vérité était un pays sans mémoire.