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Critique de cedratier


« A son image » Jérôme Ferrari (Actes Sud, 220 pages).
A partir de la mort accidentelle d'Antonia sur une route de Corse en 2003, Jérôme Ferrari défile le parcours de vie de cette jeune femme, à travers la mémoire douloureuse de son oncle et parrain, celui qui, devenu le prêtre du village, en conduit les obsèques. C'est en partie à travers son regard qu'on suit un groupe de jeunes gens, filles et surtout garçons évoluer sur cette terre corse, entrer en autonomisme comme on entre en religion, suivre les méandres d'engagements de plus en plus délétères qui vont les conduire aux crimes prétendus d'honneur, en fait des vendettas sans fin. Antonia est devenue photographe de presse régionale, et l'amante de Pascal un ami d'enfance, petit cadre local du FLNC, qu'elle croise entre deux emprisonnements pour soupçon d'attentat. Elle est amoureuse mais pas aveugle sur ce qui se joue dans des comportements claniques démultipliés par la clandestinité, profondément emprunts d'un machisme (un vocabulaire bien-pensant évoquerait le terme de société patriarcale), et l'auteur nous fait très bien sentir tout le poids et la contrainte qui, sous couvert de traditions, enferment, enrégimentent une partie de la population au prétexte d'une lutte dite de libération ; il nous mène dans les méandres d'un marigot assez nauséabond d'un nationalisme aux confins de la mafia. Prise entre son travail insignifiant pour une feuille de chou locale (pour laquelle elle photographie sans fin des concours de pétanque et des fêtes villageoises), et l'amour d'un homme qui ne manque pas d'une forme de générosité mais dont elle voit avec lucidité dans quoi il s'enferme, elle prendra le large vers les Balkans en guerre au milieu des années 90, se confrontant aux images d'un conflit d'une toute autre ampleur que celui qui agite le microcosme corse.
Jérôme Ferrari nous offre aussi une réflexion sur le regard photographique à travers le parcours et le métier d'Antonia, mais aussi en intégrant deux chapitres étonnants car totalement déconnectés du fil du roman ; l'un concerne le parcours d'un photographe français du début du XXème siècle qui va être confronté aux horreurs de la guerre coloniale de l'armée italienne en Tripolitaine, l'autre celui d'un photographe serbe qui couvrira les deux guerres mondiales. Comment la photo peut-elle dire l'indicible ? Comment peut-elle en témoigner, sans fioriture ni voyeurisme malsain ? Comment échapper à une sorte de fascination pour la violence ? L'auteur ne se prive pas au passage de quelques coups de griffe vis-à-vis d'un journalisme de complaisance, benêt ou racoleur.
J'ai trouvé certains passages un peu longuets (le monologue intérieur du prêtre au chapitre 6 par exemple), d'autant que Ferrari construit parfois des phrases d'une longueur infinie, sans que j'en trouve toujours la pertinence. Et ses très nombreuses références religieuses ne m'ont guère emballé (tout le roman est construit, scandé en chapitres reprenant les étapes d'un office religieux). Je ne vois pas non plus ce qu'apporte son choix de citer les prénoms des personnages suivis de la seule initiale du nom de famille, y compris pour des personnages historiques bien réels; cela complique l'accrochage durant la lecture aux évènements politiques qu'il évoque. Car c'est quand même bien de cela qu'il s'agit dans ce pourtant beau roman, des histoires personnelles et particulières confrontées à des moments historiques douloureux.
Un livre quand même prenant.
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