La mère d'Eva

Le prénom que je t'avais donné n'était pas le vrai. Ni tous ceux que tu as eu après, les petits surnoms de l'amour de ton père, mimi, petite plume, grenouillette. Un coup de bistouri et la sentence d'un tribunal suffiraient à les effacer.

Plus les heures passent, plus le reste du monde semble fané comme un souvenir.

Ton arrivée a marqué pour moi la fin de la sérénité. Depuis le jour où tu es née, depuis qu'on t'a posée pour la première fois sur moi, depuis ce jour-là, chaque jour de ma vie, j'ai eu peur que tu meures.

Eva, que reste-t-il de l'âme quand le corps change ? Auras-tu les mêmes émotions qu'avant ? Ou sentiras-tu comme un homme, te comporteras-tu comme un homme ?

Nous avons appris à nous connaître au cours de cette année de vie dans deux pays différents. Pour la première fois je l’ai vue comme un être humain et non comme un rôle, une règle, une figure fixe et immuable. Elle me dit que je lui manquais et c’est la chose la plus affectueuse qu’elle soit jamais parvenue à me dire. A l’époque, je croyais qu’entre parents et enfants il n’était pas nécessaire d’exprimer des sentiments. Que le lien lui-même était suffisant. Je sentais un manque quelque part, un vide, mais j’ai compris plus tard seulement ce que c’était. J’ai compris qu’être aimé par ses parents n’est pas la même chose que se sentir aimé. L’affection qui semble évidente pour les adultes ne l’est pas du tout pour les enfants. Être aimé et se l’entendre dire fait toute la différence dans la force dans laquelle vous affrontez le monde. Entendre votre mère vous dire qu’elle vous aime et que vous êtes ce qu’elle a de plus précieux au monde n’est pas la même chose que le supposer. (la narratrice parlant de sa mère, p. 73)

Je t'ai laissée être ce que tu voulais

Une autre terre, un lieu nouveau, où tu pourras enfin être ce que tu désires et où je pourrais enfin me reposer