Le vieil homme aux dix mille dessins

Le peintre doit-il copier toute sa vie ? N'a-t-il aucune possibilité d'évoluer et de montrer ce dont il est capable ? Et bien moi je prétends que si les écoles sont utiles, elles ne sont pas suffisantes et qu'à un moment donné il faut pouvoir créer son propre style, vraiment créer. Moi j'ai envie d'autre chose, d'aller plus loin.

Plus mes histoires sont horribles et plus elles semblent avoir du succès ! déclara Bakin. C 'est étrange : la moitié des lecteurs sont terrifiés à l'idée de sortir seuls dans le noir, ne serait-ce qu'un quart d'heure, à cette seule idée leur visage de décompose, ils sont pris de sueurs froides et trouvent les excuses les plus invraisemblables pour y échapper, mais ils se délectent d'histoires horribles, de têtes coupées qui se recollent ou ne se recollent pas sur le tronc, de revenants qui dévorent des enfants, de monstres et de renards qui se livrent à des tours abominables !

Et avant même que je lui retourne la question, Bakin m'expliqua que lui ne pourrait jamais de passer d'Edo, et que même s'il éprouvait la nécessité de voyager, car il était incapable de décrire des lieux qu'il n'avait pas vus de ses propres yeux, la campagne lui inspirait souvent des sentiments de mélancolie et de tristesse.

Lorsqu'on ne se sent pas enclin à peindre, la meilleure chose est de sortir faire une petite promenade tout seul. Peut-être ne découvrira-t- on rien ou peut-être trouvera-t-on un morceau de rocher ou une branche, une petite pièce d'eau ou un bois clairsemé. Ces choses se trouvent là, ignorées de tous. Mais ce sont des morceaux de nature, trés différents de ce que l'on voit sur les tableaux.

Mais il est vrai que, comme beaucoup de mes compatriotes, j'accorde une grande importance à la position des astres et aux signes du zodiaque chinois, et comme eux, je crois donc que nos déisions et le cours de notre vie ne nous appartiennent pas complètement.

Et je repensai alors aux conseils que le peintre chinois Shen Tsung-ch´ien donnait dans son Traité de l'art de peindre, de toujours éviter la vulgarité. Et par éviter la vulgarité, il ne visait pas les sujets vulgaires, mais parlait d'un état d'esprit. Et il dessait une liste de personnes qui ne devraient pas peindre : ceux qui ont perdu leur innocence, ceux qui aiment le luxe, ceux qui se battent pour le pouvoir et l'argent, ceux qui suivent le goût du peuple, ceux qui ont un esprit bascet vulgaire et bien sûr ceux qui boivent trop. Sans aucun douteShun ´ei appartenait à cette catégorie, et cela l'avait ruiné.

J'aime la fête du nouvel an, car le spectacle de la rue ce jour-là est très plaisant et elle annonce aussi que, sous peu les grands froids feront place au printemps. Pourtant, je m'étonne toujours que nous réjouissions, chaque année, de retourner à cette date, le grand sablier qui fera couler une année de notre vie, en nous rapprochant inexorablement de notre fin !

Pour qu'un livre soit réussi, il faut que le texte et l'illustration se trouvent intimement liés, que le texte calligraphié fasse partie intégrante de l'illustration. Un livre est une chose vivante, qui possède ses qualités propres, et le grand art, lorsqu'on est illustrateur, est de lui donner de l'esprit.

Il y a un plaisir immense à voir naître une œuvre, et bien plus encore un chef d'œuvre.

Copier et encore copier. Il s'agissait par la répétition du même geste d'obtenir la copie parfaite d'un motif, tout en gardant à l'esprit le style de l'école. La perfection du geste ! Existe-elle seulement ? Quand peut-on être sûr de l'avoir atteinte ? C'est la quête inlassable de l'artiste, celle qui gardera son talent intact.