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Critique de kielosa


37 Kilos de lettres d'amour : c'est le poids de la correspondance amoureuse entre Lev Michtchenko et Svetlana (Sveta) Ivanova de juillet 1946 à novembre 1954. le pauvre Lev se trouvait dans un camp de travail au Grand Nord, à Petchora pour être précis, soit à 1.491 km de Moscou, où sa bien-aimée Sveta l'attendait. Ce séjour peu exotique, Lev le devait à la mansuétude de ce grand humaniste qu'était Joseph Staline. Si Petchora se trouvait quelque part central c'était, hélas, au coeur de l'abominable Goulag.

Beaucoup d'entre vous ont lu "Une journée d'Ivan Denissovitch" du Prix Nobel Alexandre Soljenitsyne, certains même son magistral "L'Archipel du Goulag" (3 voĺumes en version française) et/ou l'excellente oeuvre de base par l'historienne américaine Anne Applebaum "Goulag : Une histoire" , et savent donc que cet archipel n'était pas particulièrement une destinée de rêve pour ses millions de clients. En fait, le mot "Goulag" est un acronyme pour désigner l'Adminstation principale des camps, sous contrôle de la police politique Guépéou/NKVD/KGB, qui avait corrigé et amélioré les anciens "katorgas" des tsars. Si le nombre total des personnes qui y ont séjourné n'est pas bien connu, on avance des chiffres entre 10 et 18 millions, les archives russes sont, en revanche, nettement plus précises quant au nombre de morts : 963.866, ou de 1934 à 1947, 69.000 morts par an !

Lev et Sveta, deux jeunes doués, avaient fait connaissance à la faculté de physique de la meilleure université de l'URSS, celle de Moscou. Comme ils ont raconté eux-mêmes à l'auteur, il ne s'agissait pas d'un "coup de foudre", mais d'une progressive appréciation réciproque. Il est vrai que si Lev n'était pas exactement un adonis, Sveta était, par contre, de toute beauté et d'une taille impressionnante. Et Lev, bien que plus petit qu'elle, avait "un visage bon et doux", mais la concurrence pour le coeur de Sveta était tenace, comme la moitié des étudiants en étaient amoureux à des degrés différents.

Lev avait sans doute un regard mélancolique, résultat d'une jeunesse peu heureuse. Né en 1917, il n'avait pas 3 ans ans, lorsque ses parents furent incarcérés par les bolcheviks pour collaboration avec les armées blanches. Accusation sans fondement, mais qui n'empêchait pas un gardien de prison de tirer une balle en pleine poitrine de sa mère et son père d'être exécuté. En l'espace de quelques semaines le môme pût aller à 2 enterrements. Après, son éducation était assurée par une grand-mère et des tantes. Sveta sortait d'un milieu un peu plus huppé (pour les normes communistes de cette époque), son père étant un scientifique spécialiste du caoutchouc, matière vitale pour l'URSS.

Opération Barbarossa, l'invasion de l'URSS par les nazis en 1941, signifiait pour notre couple une longue séparation. Pour Sveta : son diplôme - en même temps qu'un certain Andreï Sakharov - des dépressions et de la poésie ; pour Lev : incorporation dans l'armée et pérégrinations comme prisonnier des Boches et un séjour à Buchenwald. Libéré par les Américains, il fut offert un job comme scientifique aux États-Unis, mais refusa, dans l'espoir de vite retrouver sa bien-aimee. C'était cependant compter sans la gentillesse des tchékistes qui le condamnèrent pour espionnage et l'envoyèrent pour 10 ans au Goulag, en décembre 1945. Sa faute ? Avoir eu l'audace de jouer à l'interprète auprès des Fritz pour aider ses compatriotes !

Voilà, dressée la scène des 8 années qui allaient suivre : lui dans un combinat de bois, elle à Moscou, et entre eux un amour épistolaire, qui a survécu à toutes épreuves. Par respect pour mes amis sur Babelio, je dois malheureusement mais impérativement arrêter mon récit ici.

Selon l'auteur, la collection des lettres entre nos 2 amoureux représente "la seule grande chronique en temps réel de la vie quotidienne au Goulag qui ait jamais vu le jour." Sur une photo de l'ouvrage, on voit Sveta et Lev à Moscou, en 2002, interviewé par Orlando Figes.

D'Orlando Figes, né en 1959 et professeur d'histoire à l'université de Londres, j'ai énormément appris sur la Russie. Ses oeuvres "La Révolution russe: 1891-1924 : la tragédie d'un peuple" (2 tomes en français), "Les Chuchoteurs : Vivre et survivre sous Staline" (également 2 volumes), ainsi que sa Chronique de la Guerre de Crimée, 1853-1856 (pas traduit en français), sont pour moi des oeuvres de référence souvent consultées. J'avais initialement l'intention de faire une critique de son chef-d'oeuvre "Natasha's Dance", mais en l'absence d'une version française, j'ai laissé tomber. Je présume que les éditeurs français ont pensé qu'il s'agissait de la vie dissolue d'une fille de l'est peu catholique ou orthodoxe ? Pourtant le sous-titre aurait pu les édifier "A Cultural History of Russia". Un monument impressionnant de 729 pages.

En 2008, Poutine avec ses sympathies pour Staline, décida de fermer le Mémorial des victimes du Goulag, après un raid par sa flicaille qui confisqua tous les documents. Une protestation initiée par Orlando Figes et contresignée par de nombreux académiciens eût comme résultat, après un procès bidon, que le Mémorial soit rouvert et les archives restituées, l'année suivante. C'est là que l'auteur a pu prendre connaissance de cette "Love Story" à la russe.

Deux petites conclusions relatives à Orlando Figes : ses ouvrages historiques sont traduits en 27 langues et lui ont valu de nombreux prix, tels le Prix Médicis en France, en 2009, pour "Les Chuchoteurs" et un an après, en Italie, le "Premio Roma".
Pour protester contre la bêtise du Brexit, le professeur londonien a demandé la nationalité allemande.
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