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Critique de Seraphita


De Chinon au Blayais, du fleuve Loire à l'estuaire de la Gironde, voici le parcours de Yann, un travailleur précaire, qui nous est conté. Un travailleur bien particulier, identifié par des initiales : DATR ou « directement affecté aux travaux sous rayonnements » (p. 15). Yann travaille en effet dans des centrales nucléaires à l'occasion des arrêts de tranche :

Sur les deux mille salariés qui entrent ce jour-là dans la centrale de Chinon, « la moitié seulement a le statut EDF d'agent ». Yann poursuit : « Les autres, comme moi, ne sont là que pour les trois à cinq semaines que dure un arrêt de tranche, maintenance du réacteur et rechargement en combustible, de mars à octobre les chantiers se succèdent à travers la France et les hommes se déplacent d'un site à l'autre, tous salariés des sociétés prestataires » (p. 11).

L'accident nucléaire de Fukushima a récemment marqué les esprits. Il y a 25 ans, le 26 avril 1986, se produisait la catastrophe de Tchernobyl. La lecture de « La Centrale » d'Elisabeth Filhol, écrit en 2010, prenait ainsi pour moi tout son sens. Ce qui m'intéressait également, quand j'ai lu la quatrième de couverture, c'était de découvrir une facette singulière du travail précaire. Je n'ai pas été déçue par la lecture de ce roman.

J'ai tout d'abord particulièrement apprécié l'écriture de l'auteure : une écriture tout en objectivité mais derrière laquelle j'ai ressenti des émotions, une écriture en retenue qui laisse filtrer une sensibilité. Une écriture poétique, précise, travaillée à la virgule près. Une écriture qui se laisse emporter par des digressions (cela m'a d'ailleurs rappelé quelques caractéristiques de l'écriture de Maylis de Kerangal dans « Corniche Kennedy » ou « Naissance d'un pont »).

J'ai apprécié les descriptions des centrales nucléaires (l'intérieur : j'ai été marquée par la description de la qualité de la couleur bleue des piscines -, l'extérieur) : elles sont à la fois magnifiques sur le plan esthétique et peuvent faire penser à un univers de science-fiction, mais aussi terrifiantes : cet univers est bien réel et nous questionne à de multiples niveaux. J'ai beaucoup appris concernant le fonctionnement des centrales nucléaires. J'ai retenu quelques mots-clés : nécessité d'un refroidisseur (rivière, mer ou aéroréfrigérant), circuit primaire fermé, circuit secondaire fermé, barres d'arrêt d'urgence, barres de contrôle… Derrière ce discours très objectif, très neutre, l'auteure a-telle voulu dénoncer une réalité ?

J'ai aimé suivre le parcours de Yann, un travailleur précaire. Yann s'interroge à demi-mots sur ce qui pousse un homme à devenir travailleur DATR : la facilité à décrocher et renouveler les contrats ? le goût du risque ? L'aventure est en effet dangereuse et l'Homme a essayé de contrôler au mieux les risques. Yann explique ce que signifie DATR : « Directement affecté aux travaux sous rayonnements » à la fois d'un point de vue objectif (comment les dirigeants ont rationnalisé ce sigle) et d'un point de vue subjectif (ce que cela implique concrètement pour les salariés et comment ils le vivent) :

« Avec un plafond annuel et un quota d'irradiation qui est le même pour tous, simplement certains en matière d'exposition sont plus chanceux que d'autres, et ceux-là traversent l'année sans épuiser leur quota et font la jonction avec l'année suivante, tandis que d'autres sont dans le rouge dès le mois de mai, et il faut encore tenir juillet, août et septembre qui sont des mois chauds et sous haute tension, parce qu'au fil des chantiers la fatigue s'accumule et le risque augmente, par manque d'efficacité ou de vigilance, de recevoir la dose de trop, celle qui va vous mettre hors jeu jusqu'à la saison prochaine, les quelques millisieverts de capital qu'il vous reste, les voir fondre comme neige au soleil, ça devient une obsession, on ne pense qu'à ça, au réveil, au vestiaire, les yeux rivés sur le dosimètre pendant l'intervention, jusqu'à s'en prendre à la réglementation qui a diminué de moitié le quota, en oubliant ce que ça signifie à long terme. Chair à neutrons. Viande à rem. » (p. 15-16).

Le style se veut objectif, distancié, présentant de multiples descriptions techniques que je n'ai jamais trouvé lassantes. Ce roman est court (un peu moins de 150 pages) et se lit d'une traite. Un livre salutaire avec le récent accident nucléaire au Japon qui permet de réfléchir aux implications du nucléaire, sur le plan humain et environnemental. Un vrai coup de coeur !
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