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Adieu la politique
Aurélie Filippetti revient au roman pour raconter une histoire d'amour entre un homme de droite et une femme de gauche. Entre convictions, combats et désillusions.

Avant d'être ministre de la Culture, Aurélie Filippetti était romancière. Les derniers jours de la classe ouvrière et Un homme dans la poche ont prouvé son talent en la matière. Aussi l'annonce de la parution de son nouveau roman a attisé ma curiosité. Une fois oublié l'aspect secondaire du petit jeu des personnages réels cachés derrière les protagonistes – Frédéric Dupuis affirme dans l'Express avoir identifié Frédéric de Saint-Sernin, ancien secrétaire d'Etat de Jean-Pierre Raffarin comme l'amoureux de la ministre et Marc Ladreit de Lacharrière, le patron de Fimalac derrière «le portrait féroce d'un autre homme, un financier matois et flagorneur, jouant les mécènes culturels pour mieux infiltrer les hautes sphères du pouvoir.» – il faut d'abord lire cet épais roman comme un témoignage, un compte-rendu détaillé et vécu des rouages du pouvoir, car on ne peut dissocier la ministre de la culture de la romancière.
Il y a d'abord ce constat douloureux que derrière l'image – la volonté affichée de la parité – se cachent des années de pratique machiste du pouvoir et cette méfiance des femmes : « on ne les laissait exister qu'ainsi, au service de… de l‘homme, du chef, du leader, de l'enfant, de la société. Elle avait été obligée d'insister et de faire plusieurs fois remarquer que la commission qui traitait des finances, du budget, qui répartissait les subventions, qui enquêtait sur l'exécution des comptes, ne comprenait que 3 femmes sur 70 membres, pour obtenir l'autorisation d'y siéger, à titre exceptionnel pour une nouvelle arrivante. Il était frappant de constater que même dans les plus hautes sphères du pouvoir les femmes étaient ainsi infantilisées, subordonnées, si rarement écoutées avec sérieux. Condamnées à un prétendu altruisme qui les enfermait. Obligées de s'enraciner dans ce que d'autres voulaient bien reconnaître en elles pour s'émanciper. Chaque parole féminine qui disait le plaisir, la gaieté égoïste, l'hédonisme ou la lutte, l'exigence, le courage, la volonté était retournée contre elles. » La scène qui raconte l'arrivée de la toute fraîche nommée ministre de la culture au Festival de Cannes est à ce propos aussi éclairante que consternante.
Il a y ensuite cette histoire d'amour aussi improbable que vraie. L'homme de droite et la militante de gauche se sont reconnus dans leur histoire familiale semblable, leur volonté de rendre à l'école de la République ce qu'elle leur a donné, ce besoin quasi viscéral de s'engager pour relayer la voix des habitants de leur circonscription respective. Ils ont construit leur amour en sachant que leur relation était impossible.
« Ils se l'étaient répété, ou plutôt était-ce elle qui le lui avait signifié, lors du deuxième rendez-vous.
En tirer les conséquences, ne pas parler, ne pas s'appeler, ne pas souffrir.
La clandestinité était forcée, leurs rencontres tapies dans l'obscurité d'après-midi clos. Il arrivait chez elle avec une ponctualité ondoyante. Elle l'attendait avec une impatience inconstante. Entre-temps, il n'y avait rien.
Rien que des rêves ensommeillés et une profusion d'activités en tous sens. Leur vraie vie, à ces deux-là, était ailleurs. » Mais c'est sans doute aussi ce qui entretient leur relation et l'enrichit, l'urgence d'une part et la liberté de leurs échanges d'autre part. On serait même tenté de dire enfin un moment où la confrontation des idées peut avoir lieu tant les blocages, les compromis – pour ne pas dire les compromissions – sont légion. Pourtant la ministre et ses amis proches avaient promis de ne pas abandonner les leurs, compagnons de lutte en Lorraine durement frappés par l'abandon du charbon et de l'acier, sachant pertinemment que «s'ils perdaient de vue cette exigence, ils se perdraient eux-mêmes.» Ce qui a fini par arriver… Même si, avant de rendre les armes, la ministre a voulu trouver dans sa circonscription de quoi se ressourcer et rebondir. Mais au temps des campagnes médiatiques et des réseaux sociaux, on a tôt fait de juger sans même l'esquisse d'un procès à armes égales.
Il faut lire ces pages qui racontent le quotidien, la confrontation avec les fonctionnaires des cabinets ministériels puis celle avec les ouvriers que l'on avait assuré de leur soutien pour comprendre ce qu'est l'usure du pouvoir. Et trouver entre les lignes quelles souffrances peuvent endurer celles et ceux qui entendent ne pas renier leurs idéaux, fut-ce au prix d'une demi-victoire.
En saluant la romancière, on ne peut toutefois s'empêcher de lire entre les lignes le constat d'un grand gâchis. Quand tout le système, les énarques, le Premier ministre et le Président choisissent de renoncer aux promesses – y compris après les attentats – pour un «pragmatisme» qui n'a plus rien à voir avec Les idéaux.

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