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Critique de HordeDuContrevent


Ce conte gothique nous plonge dans une ambiance ensorcelante teintée de réalisme magique, dans un enchainement haletant de thriller campagnard, rythmé par la monstruosité des hommes. Atmosphère Atmosphère…

Adeline Fleury campe son histoire sur un territoire situé entre campagne rude et mer menaçante du côté de la Normandie. A priori une bourgade comme il en existe tant entre mer et champs, avec ses fermes, son église, son bar, ses habitants taiseux et rugueux. Mais c'est ici un territoire qui ancre solidement les âmes et les corps aux sols acides et marécageux près du val et aux roches de granit près des falaises. Un territoire hostile et sauvage qui mord et rejette celles et ceux qui viennent d'ailleurs, les citadins notamment, qui menacent ceux qui vivent dans ses lisières, celles et ceux du lotissement. Entre cap et des tempêtes et champs boueux et marécageux, un territoire qui ne s'apprivoise pas facilement.

« Ici, les vagues et les landes rivalisent pour faire sentir aux hommes qu'ils sont attachés à quelque chose de lourd ».

De sa plume envoutante, l'auteure saupoudre sur ce territoire rude superstitions fantasmagoriques et légendes, peuplées de monstres, de varous, d'enfants-fées, d'un géant et de goubelins aussi effrayants que les mouches, araignées, orvets, crabes, serpents et asticots qui débordent de toute part et dégagent, des tas de fumier, des marécages, des maisons abandonnés mais aussi des cauchemars, les relents pestilentiels, âcres et puissants de cette campagne mystérieuse.
Ces éléments combinées, entrelacés, produisent une ambiance gothique, des ondes étranges, des énergies contradictoires faisant vaciller toute rationalité alors qu'en même temps nous sommes dans ce qu'il y a de plus humain, dans les bassesses et lâchetés humaines les plus inavouables. Car ne nous méprenons pas, ce sont les hommes qui produisent les monstres, ceux-là même qu'ils tentent ensuite de combattre, eux qui produisent des solitudes et des drames dont les conséquences retombent sur des générations et des générations d'habitants à l'origine des légendes et des croyances irrationnelles.
Ce balancement perpétuel du récit entre réalisme magique et psychologie humaine rend la lecture addictive et étrange, ne sachant jamais vers quoi nous amène l'auteure, coincés que nous sommes entre curiosité, cauchemar et légendes…Seule certitude plane l'ombre glaciale de la vengeance…


L'histoire débute de façon très impressionnante au sein du lotissement qui jouxte le village. Tel un message biblique de mauvais augure, il y pleut des crapauds. Une des plaies d'Egypte dans l'Exode. Notons au passage que la façon froide, mécanique, presque cynique, de décrire le lotissement juste avant le drame, sorte de lisière qui n'est ni la campagne ni la ville, comme avait également superbement décrit Olivier Adam dans Les lisières, ce déterminisme social, m'a tout de suite plu tant je suis fascinée par ces entre-deux, par ces gens ni paysans, ni citadins, « on ne sait pas trop ce qu'ils sont d'ailleurs », sans vraiment d'identité, ils semblent se ressembler tous avec leurs maisons identiques à un étage à la façade beige et au portail bordeaux, aux portes de garage bordeaux assorties car le bordeaux ça fait noble, c'est élégant…

« Ceux du lotissement ont un quotidien réglé comme du papier à musique. Ils vivent à la campagne sans en profiter, enfermés dans leur maison témoin, leur voiture témoin et leur sexualité témoin, celle du samedi soir conjugal ».

Cette pluie de crapauds laissant les routes et les chemins visqueux et gluants est prémonitoire d'un drame à venir. Et en effet, au sein du village, il se passe également des choses étranges. Un cheval des jumeaux Bellay a été blessé de façon sauvage et Julia, jeune vétérinaire, certifie qu'aucun animal n'a pu infliger les blessures constatées. le bélier noir de Sylvie a été tué de façon mystérieuse. Une vache venant de vêler a vu son pis sectionné. Les villageois affirment que le Varou est revenu pour s'abreuver du sang des bêtes. Les atrocités se multiplient et le petit Levavasseur, surnommé l'enfant-fée, si curieux avec sa tête disproportionnée, son visage précocement ridé, et son regard bleu acier, disparaît après avoir été vu préalablement sur toutes les scènes où les agressions ont été commises. La grande Stéphane, Guillaume, journaliste, et une vieille femme, une rebouteuse, s'allient pour enquêter.


J'ai beaucoup aimé la plume de l'auteure qui s'adapte à merveille à son récit, offrant par moment des plans fixes quasi cinématographiques d'une beauté noire à couper le souffle, dans lesquels le temps est suspendu, puis accélérant aussitôt quelques lignes plus loin pour mener à bien le thriller.
« le vent a chassé les nuages gris et pesants, le soleil assèche peu à peu les terres et le bitume. le clocher en bâtière de l'église se révèle en haut de la côte. Les femmes se terrent dans leurs demeures, Battut en distingue certaines tirant discrètement les rideaux sur leur passage. Seule Lili erre au milieu de la place. Elle traîne derrière elle un cabas duquel dépassent des pieds de poupées, une petite chaussure tombée sur les pavés ».

Le roman est un décliné de noir, de sépia, de gris avec son ciel poisseux et bas, sa lande sombre, son océan d'un bleu foncé froid, ses marécages marronnasses d'où débordent des orvets noirs, son crachin qui décolore le village dans toutes les nuances de gris. Les éléments tels qu'ils sont décrits, que ce soit la lune, les marécages, les dunes, l'océan, la maison abandonnée donnent l'impression de lire un conte.
« La lune est énorme. Elle habille de blanc les marécages brumeux. Elle les enveloppe d'un voile laiteux. Pas un animal ne bouge, aucun souffle de vent ne meut les végétaux, tout semble se figer sur le passage du géant. Il a terminé sa course. Il est immobile. Sa rage aussi. Elle est bloquée dans sa large poitrine. Intacte et cruelle. Comme un poignard fiché là depuis toujours. Une éternité déjà ».
Notons également des chapitres bien travaillés, chaque fin de chapitre est bien aboutie et comporte du suspense de façon à avoir envie de continuer avec le chapitre suivant. Quelques passages en italiques donnent une dimension fantastique au récit et interpellent grandement le lecteur. Et soulignons surtout des personnages croqués avec délicatesse et justesse, deux personnages m'ont particulièrement marquée, celui de la Vieille et de la grande Stéphane, deux femmes puissantes aux antipodes des archétypes féminins habituels qui fait de ce roman un livre résolument féministe.


Le ciel en sa fureur est un roman particulièrement envoutant par son côté conte, ensorcelant par son ambiance magnétique et gothique, haletant par sa facette thriller, angoissant par sa noirceur, mais dans lequel le réalisme magique apporte des touches de poésie lumineuses très émouvantes. Un livre percutant doté d'une étrange aura ! A découvrir ! Merci à Marie-Laure (@Kirzy) dont la magnifique critique enthousiaste m'a, comme si souvent, convaincue de me le procurer immédiatement !


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