Adeline Fleury, écrivaine : "Mon écriture est très liée au corps"
1 avr. 2022
Même si elle peut en lire à satiété sur sa Linum, le plaisir n'est pas le même. Il ne sera jamais plus le même ! Il n'y aura plus jamais cette sensualité au tourner des pages, cette légère odeur d'encre séchée, cette rugosité du papier vieilli qui faisaient que les personnages s'animaient à la lecture, que l'auteur lui parlait, l'enrobait de ses mots. Non, la magie des mots n'opère plus du tout par écran interposé. (p. 63)
Elle assiste au spectacle de la magie des liens qui se renforcent entre son géniteur et sa progéniture. l'histoire s'écrit, sans artifice verbal, sans figure de style. Sans se parler, le vieil homme et l'enfant se comprennent. sans se parler, ils s'aiment. (p. 82)
Mère écrivain ! Père écrivain ! grand-père écrivain ! Trinité maudite.
"Qu'as-tu fait pour mériter pareille ascendance ? Les mots tu devras éviter. L'imaginaire tu fuiras. A leur sournoise petite musique, la vraie vie tu préféreras. (p. 14)
Alors, lui, il a tout de suite trouvé normal de soigner les bouquins, de les nettoyer, les panser avant de les repenser. Elles méritent toute son attention ces reliques, certainement pas la mise au rebut, la mise au bûcher, encore moins l'oubli à jamais.
(...)Il sait maintenant qu'il est le fruit de l'amour fusionnel de deux êtres passionnés de littérature et qu'il a bien failli naître sur un parterre de livres déchiquetés. Tout ça c'est son histoire, tout ça l'a poussé vers une humanité marginale. Plus que l'amour, il a les mots en héritage. Il n'écrit pas, il restaure le passé. (p. 148)
Autodidacte de la pire espèce. de ceux qui en font trois fois plus que les autres., qui ont arraché leurs victoires au front de la bataille sociale. (...)
Il voyait peu le jour, et c'est une tornade de nerfs qui remontait pour partager le dîner familial. Peu de mots échangés, normal, toute la journée les mots l'avaient vidé. Adèle et sa mère s'y étaient faites. Il écrit...
Profession du père ?
"Ecrivain" (p. 28)
J'ai vu qu'il s'agissait d'une petite fille. J'ai pensé " A quoi bon qu'elle vive". Une pulsion redoutable s'est emparée de moi, le nourrisson s'epoumone et je pose ma main sur sa petite bouche outrageusement dessinée, je veux etouffer ses cris et bien plus encore. J'ai voulu tuer ma fille que je ne connaissais pas par amour, j'ai voulu tuer ma fille que je ne connaissais pas pour la protéger des pires choses qui pouvaient lui arriver, comme s'il y avait pire que la mort. La vie, quand on est une fille. Elle connaîtrait des choses horribles et il valait mieux que ça arrete comme ça, avant que tout commence. Il n'y a pas de mot pour qualifier ces pensées. C'est effroyable. Une mère ne peut pas avoir pareilles pensées.
"Pourquoi ce désir fou de m'écarter des livres ? Pourquoi cette volonté de ne pas m'inclure dans cette belle dynastie d'amoureux des mots. Ce n'est pas une malédiction, maman, c'est un don de Dieu que de pouvoir écrire. Quoi de plus efficace que les mots pour faire tourner le monde ? Moi je suis fier de cet héritage. Un grand-père qui transmet l'Histoire aux générations nouvelles, un père qui raconte des histoires, une mère qui décortique les évolutions de la société. Quels legs magnifiques ! Alors, pourquoi m'as-tu privé du droit de la création ? Moi aussi j'ai mon mot à dire, ma part d'histoire à écrire. Désormais, maman, je serai le seul narrateur du roman de ma vie. En te privant de ton journal intime, je te punis. Je te retire la parole pour mieux composer mon existence. (p. 142)
Dors mon lionceau, dors mon petit ange. Mon cœur est prêt à exploser. Ça cogne à l'intérieur. Ça fait mal pareil amour, c'est violent. Quand je regarde mon bébé dormir, je me sens sale. On ne peut pas vouloir de mal à la personne qu'on chérit le plus au monde.
De marathonien à écrivain, la frontière est mince. Dans son -Autoportrait de l'auteur en coureur de fond-, Haruki Murakami consacre d'ailleurs plusieurs pages à cette curieuse analogie. (...)
L'un ne va pas sans l'autre. Courir pour se dépasser physiquement, écrire afin de se dépasser intellectuellement. Quoique dans la course le mental compte presque autant que le physique et que dans l'écriture le physique est aussi à prendre en compte. Un corps épuisé ne permet pas à l'intellect d'être productif; (p. 42)
Je pense aux jours heureux. Ils se comptent sur les doigts d'une main.